Tout à l’origine, raconte la légende kabyle, les singes étaient des hommes. C’est Dieu qui les a métamorphisés pour les punir suite à un grave péché qu’ils ont commis. Voici comment.
Réunis autour d’un immense plat de “lwaâda“ (couscous traditionnel, ô combien symbolique, qui réunit les gens pour manger la même chose dans un même plat : signifiant “taguella d lmelh “ ou pain et sel, qui les retient, en principe, de se faire mutuellement du mal) des hommes y mangent, mangent, mangent …jusqu’à être rassasiés. Dans leurs panses, plus de place pour une moindre petite bouchée, Même leurs œsophages sont remplis jusqu’aux gorges, mais le plat est encore chaud et semble comme à peine entamé. Dans leur esprit jaillit alors la tare ou cet égoïsme primaire dont dame nature les a dotés :
Comment faire pour que d’autres après eux, ne profitent plus de ce plat délicieux ? Ainsi s’ingénient- ils à chercher une idée et trouvent très vite une astuce. D’un commun accord, ils emm...dent le plat et mélangent leurs excréments avec le couscous. Le bon Dieu qui les épie du haut, les transforme sur place en singes.
De cette légende, que connaissait jadis tout enfant kabyle, est tiré le proverbe “iddew imesxen tabaqit“ ( le singe qui a sali le plat / ce, dans sa version pudique /mais comprendre emm…der le plat) qu’on colle à toute personne qui détruit ou salit un bien commun /Cette légende ou morale (comme d’ailleurs tous les autres contes éducatifs) était enseignée autrefois aux enfants, non point à l’école mais autour du “canoun“ (l’âtre) par les parents, surtout la grand-mère. Hélas depuis quelques décennies, cette dernière est boudée et détrônée par le tube cathodique et maintenant aussi par la tablette internet où règnent en maitre l’agressivité et les idées néfastes pour une société non encore adaptée mais que l’enfant et l’adolescent (qui leur sont accro) laissés seuls, discernent mal. Déevenus adultes, le « qu’en dira-t-on » d’autre fois n’a plus de sens, la conséquence de leurs actes est là. Elle nous nargue, nous agresse tout le temps et partout. C’est en tout cas le sentiment qu’a toute personne sensible ou tout simplement normale, qui circule en Kabylie.
Cette région de l’Algérie du nord, choyée par la nature avec sa mer, son Djurdjura ses forêts, ses vergers, ses rivières, aux décors de cartes postales ou tableaux de maitres, est devenue un dépotoir à ciel ouvert. Et oui, c’est la triste vérité au point de se surprendre à vouloir se placer des œillères ou devenir momentanément presbyte et myope à la fois, tellement le long des routes, chemins et pistes on voit toute sorte de détritus ainsi que des canettes, des bouteilles, du plastique… mêmes les coins de villégiature ne sont pas indemnes de ces actes. Des actes, œuvres de ces primates homo sapiens-sapiens, soit disant évolués. De plus où le bât blesse malheureusement, ce sont ses fils qui l’enlaidissent et l’agressent rappelant cet adage de l'arbre qui se plaint à la hache qui lui fait mal, celle-ci lui répond : «mon manche est de toi» Ainsi, insouciants et inconscients qu’ils sont, ils ignorent que comme au boomerang, ces coups et blessures, qu’ils portent à l’environnement où ils vivent se retourneront un jour ou l’autre, d’une manière ou d’une autre, contre eux, leur progéniture ou leurs proches
Comme un malheur n’arrive jamais seul, d’autres drames écologiques la touchant sévèrement, sont en train de prendre de l’ampleur, tels ces milliers de réseaux d’assainissement (chaque quartier le sien, des fois plusieurs, vu la topo) qui se déversent dans la nature sans aucune station d’épuration (hormis celle du chef-lieu de Tizi-Ouzou) ou pire encore, ces feux criminels qui lui portent le coup de grâce. Des oliveraies centenaires et des forêts entières que le napalm n’a pu détruire durant la guerre, sont parties en fumées ces dernières années… Mais là, c’est déjà une autre histoire ! Et si on faisait le bilan de l’impact écologique sur sa faune et sa flore ? Le résultat sera sans doute choquant avec beaucoup d’irréparable ou d’irréversible.
C’est bien dommage, car en Kabylie, il n’y a pas si longtemps (l’assistanat et l’individualisme n’ayant pas encore de place) dans chaque village, les enfants et les adolescents sont initiés par leurs aînés à “tajmait“ (ou comité de village) à “Tiwizi“ (ou volontariat), pour leur apprendre à se sentir concernés et se rendre utiles en s’impliquant à côté des adultes dans les taches d’intérêt commun. Pour exemples, ils défrichent les cimetières, les pistes et les sentiers menant vers les champs et les sources lesquelles sont également nettoyées en été. Aussi, si un feu se déclare (ce qui est rarissime) quelque part au village ou à ses environs, par réflexe sans aucun ordre, ce sont tous les jeunes qui partent l’éteindre dès la première fumée. Celui qui n’y va pas ouvertement sans raison valable, est vite stigmatisé et montré du doigt, car l’intérêt du groupe primait sur l’intérêt individuel. Voilà dans quel milieu (où il n’y avait ni potence ni prison, seule l’autodiscipline guidait les gens) étaient imaginés cette légende et son châtiment (moral). N’est-ce pas «qu’il vaut mieux avertir que guérir». Alors dans notre cas est-ce la régression ou l’évolution ? C’est à perdre son français ! Ou son kabyle pour ainsi dire.
Ceci dit, dans cette région comme ailleurs, les singes et les animaux en général, ne font jamais de mal, sinon par instinct de conservation. Ce, contrairement à l’être humain qui en fait à la nature et même à autrui uniquement pour satisfaire ses plaisirs et fantasmes (et on le dit Moderne). Toujours est-il pour ne pas sombrer dans le fatalisme, une prise de conscience et une sensibilisation tous azimuts s’imposent car il n’est jamais trop tard pour bien faire. Pour ce, il est d’abord urgent de dissuader ces agresseurs, mais à long terme il faut surtout éduquer et éduquer à toutes les échelles en commençant par la prime enfance. Sous d’autres cieux, cela se fait au quotidien sachant que l’enfant nait innocent. Homme, “ il est le fruit de son milieu »? Confucius disait « si vous avez un projet d’une année il faut semer du blé, si vous avez un projet de dix ans, planter un arbre mais si vous voulez un projet à long terme, il faut éduquer l’homme (le peuple) “.
Aomar Sider