Plus connu sous le nom de ; Josèphe Sarto (Soeur)
Les richesses d'un travail linguistique. Un article de Sr Andrée Geoffroy
Lucienne Brousse, en Algérie depuis plus de 50 ans, a toujours travaillé sur les langues et la culture du pays. Elle a une licence en littérature arabe et une maîtrise (plus 3ème cycle) en linguistique, avec option en Berbère. Elle a enseigné ces langues et l'Arabe dialectal (le parler algérien), d'abord dans le cadre de la Maison d'Etudes des Sœurs Blanches, puis du Centre d'Etudes Diocésain d'Alger.
Enfin, de 1973 à 1994, au Centre Culturel français d'Alger, y compris le français, langue étrangère, pour participer à la recherche pédagogique. Depuis deux ans, Lucienne travaille sur deux projets, dont le premier est en phase finale de réalisation. Andrée Geoffroy l'a rencontrée et nous explique…
1) La présentation sur CD, de la méthode audiovisuelle " Kamel " pour l'apprentissage de l'arabe dialectal.
Elle se présente sous la forme de 45 dialogues et compléments pédagogiques. Elle a été réalisée dans les années 1971-1973, puis perfectionnée, par toute une équipe de linguistes, pédagogues, dessinateurs de divers niveaux et des collaboratrices(teurs) Algériens. Ce CD est fait avec la précieuse collaboration technique de Fabrice Blaudin de Thé, informaticien au Centre Diocésain d'Alger. C'est un gros travail de reprise des images, sous-titrées en transcription (écriture la plus proche du dialecte), ensuite en écriture arabe, puis du texte intégral sous les 2 formes. Enfin, l'inventaire du vocabulaire. Les exercices structuraux et autres applications pédagogiques, feront l'objet d'un autre CD. Cette méthode est destinée aux étudiants de tout bord, qui veulent apprendre l'arabe dès leur arrivée en Algérie, ou après. Actuellement, elle est surtout utilisée au Centre des " Glycines " à Alger, à Constantine, à Ouargla et par un groupe à Marseille.
2) Pour le Berbère (Tamazith) Lucienne, en collaboration avec plusieurs amis spécialistes (*), reprend toute la Méthode audio-visuelle " TIZI WWUCCEN ", élaborée par : Marie-Hélène Blais, Madeleine Allain et Lucienne Brousse.
Cette méthode a été mise au point pour l'édition, par Madeleine Allain (la première partie seulement, ayant été éditée en 1987 par EDISUD) pour réaliser un CD. Cette méthode sera destinée à soutenir l'enseignement du Tamazight, (langue berbère), au niveau scolaire, mais il répondra aussi à une demande dans le milieu de l'émigration.
A l'origine, les thèmes et les textes étaient conçus pour des missionnaires et assimilés. Aujourd'hui, ils restent très valables pour les enfants, car bien situés dans le contexte du pays. Comme pour l'arabe, la réalisation d'un CD entraîne un gros travail. Remodelage de l'écriture, avec des choix nouveaux motivés par l'évolution de la question linguistique, au niveau du pays. Remodelage de l'enregistrement des dialogues. Cela a retardé la réalisation définitive. Le projet de l'édition en Algérie des deux parties en un seul livre, parallèlement au CD, demeure.
3) Autres projets
a) reprendre tout le travail de berbère, fait par Madeleine Allain. Il se trouve dispersé dans le FDB (Fichier de Documentation Berbère) pour en faire un ou plusieurs recueils, par grands thèmes. Cela demande de réécrire tous les textes en transcription actuelle. Lucienne a prévu de faire ce travail avec des collaborateurs.
b) reprendre le travail important, humble et inconnu que Eliane Occre a remis entre ses mains peu de temps avant sa mort, sur les tatouages des femmes, dans le sud Algérien. Il s'agit de mettre en valeur ce travail qui est parfois sur de petits papiers, risquant de devenir inutilisables avec le temps. Le travail consiste donc à faire une présentation et un essai de comparaison, si possible avec d'autres travaux existants sur le sujet et d'y introduire ensuite des refrains ou des chants de femmes, restés inédits. Tout ceci avec la collaboration d'amies algériennes.
Ces dessins ont été relevés sur les visages et les mains des malades, par Eliane de 1953 à 1965. Travail qui a demandé une patience, un respect et une grande confiance mutuelle, avec les femmes dont elle s'approchait. Ils sont souvent nommés en arabe, avec traductions et datés. Ce sont tous des dessins d'origine berbère, bien que ces femmes soient presque toutes de tribus arabes ! Oui, Lucienne voudrait que ces trésors linguistique et culturels puissent devenir accessibles à tous et en particulier aux Algériens eux-mêmes.
Sr Andrée Geoffroy. http://www.soeurs-blanches.cef.fr/journ111b.htm (source)
(*) du bureau pédagogique du Haut commissariat à l'Amazighité. (ci-dessous)
Le Haut Commissariat à l'AMAZIGHITE (HCA) est une Institution Officielle, sous la tutelle de la Présidence de la République. Sa mission, ses prérogatives, son champ d'action et son fonctionnement sont clairement définis par les textes juridiques, en termes de décrets présidentiels.
NB : Amazighité : qui a rapport à la langue et à la culture Berbère
Bibliographie : Livret " Ensemble et Avec " publié par " Justice et Paix "
Sœur Blanche en Algérie, berbérisante et arabisante, Lucienne Brousse, 84 ans, s’est passionnée pour la transmission des langues de ce pays dont elle a épousé l’histoire pendant soixante ans
Comment la petite Lucienne, née en 1930 dans une famille nombreuse de paysans, en ce pays « rouge » du Tarn-et-Garonne, est-elle devenue « Sœur Blanche », universitaire linguiste, auteur ou coauteur de plusieurs livres et méthodes d’apprentissages ?
Cela tient du miracle, sourit-elle aujourd’hui, dans sa robe fleurie à la mode berbère. L’enfant qu’elle était, à 12 ans, pressent « un appel mystérieux », avec déjà l’idée de se consacrer à Dieu. Elle sait juste qu’il faut qu’elle se prépare, le mieux possible, à« servir ».
Et supplie sa mère de l’envoyer à l’école à Moissac.Pour quoi faire ? Cela coûte cher… La directrice des Sœurs de la Miséricorde trouve des bienfaiteurs inconnus pour payer sa scolarité et, en 1944, Lucienne y réussit son certificat d’études.
Les ursulines de Montauban l’accueillent ensuite jusqu’au bac, dans les mêmes conditions, sans qu’elle ait jamais su qui prit en charge « trousseau » obligatoire et pension. En remerciement, le papa apporte régulièrement au couvent des paniers de fruits.
C’est en classe de seconde que tout s’éclaire : dans son livre d’histoire, une photo du cardinal Lavigerie, ainsi légendée : « Il a fondé une congrégation pour prendre soin des orphelines de la famine. » Voilà : elle sera Sœur Blanche en Algérie ! Et prévient les ursulines : « Je ne pourrai pas vous rendre tout ce que vous avez fait pour moi… » « Suivez la voie que Dieu vous proposera ».
L’été suivant, elle est accueillie parmi les postulantes des Sœurs Blanches, qui lisent en commun leurs constitutions : « Il n’y a qu’une seule classe de sœurs… » Cela la frappe au cœur, elle, fille de communiste ! Dix jours après sa majorité, elle prend l’habit blanc.
Son père ne comprend pas : « Jamais tu ne supporteras d’obéir… » En 1953, avant même d’avoir prononcé ses vœux, elle est envoyée en Kabylie (Beni-Yenni). Les communautés des Missionnaires de Notre-Dame d’Afrique, appelées sœurs blanches à cause de leurs robes d’alors, sont là où le pouvoir colonial n’a pas d’écoles, de dispensaires : « Parce que tous sont dignes d’être instruits et soignés », même dans ces montagnes oubliées.
Jamais d’évangélisation directe : « C’est votre témoignage de vie qui doit faire connaître Jésus », disait Mgr Lavigerie. Et là, raconte Lucienne, « je suis tombée amoureuse… des gens, du pays, des montagnes ». En plus d’enseigner à des filles « avides d’apprendre », elle accompagne la sœur infirmière dans les villages : « Une école formidable pour apprendre la langue. » Elle écoute et retient les expressions, les contes, les proverbes, les berceuses…
En 1954, c’est la guerre. Les Sœurs Blanches, proches des populations, sont prises entre l’armée et les fellaghas ; bien souvent les tirs les obligent à se mettre à plat ventre dans leurs maisons… Durant ces années, au fil des dangers, les écoles fonctionnent par intermittence, le ravitaillement est plus ou moins assuré, les femmes viennent trouver refuge dans les dispensaires. Un Père Blanc est assassiné à proximité, deux autres sont enlevés, une religieuse tuée lors d’une opération.
Ce sont aussi les années où Lucienne met en ordre les connaissances linguistiques acquises sur le tas, et commence à les transmettre. Au Centre d’études berbères féminin, avec une autre religieuse, elles découvrent les nouvelles pédagogies d’apprentissage des langues. Elles ont aussi, déjà, le souci de recueillir et de mettre en valeur les trésors de sagesse et de poésie des femmes, qui s’expriment notamment à travers leurs tatouages venus du fond des âges. Elles notent et dessinent, accumulant des bouts de papiers.
Lorsque l’indépendance est proclamée, les religieuses qui le souhaitent peuvent rentrer en France, mais beaucoup restent, comme Lucienne. En 1965, un décret « d’arabisation » oblige à enseigner l’arabe dans toutes les écoles. Elle, reconnaissant volontiers ses facilités pour la phonétique, se met à l’apprendre. Sur une proposition « impensable » de son évêque, Mgr Henri Teissier, elle fréquente l’université d’Alger, en civil ; et alignera licence, maîtrise, puis études approfondies en France.
En 1971, elle participe à la fondation du centre diocésain des Glycines, où elle enseigne l’arabe avec sa méthode à base de dialogues, dite « Kamal ». Elle sera aussi professeur titulaire de l’éducation nationale au centre culturel français, jusqu’à sa fermeture en 1994 ; et encore au Caire. Viennent les années noires du terrorisme, mais « quand vous êtes ainsi intégrée dans un pays qui vous a adoptée, vous ne l’abandonnez pas pour vous mettre à l’abri ! »
Elle assiste au massacre de deux de ses sœurs de Bab El-Oued ; refusant de s’étendre sur le sujet. En 2013, Lucienne Brousse a fêté son jubilé : soixante ans d’engagement religieux, et autant de présence en Algérie. En rappelant tout ce qu’elle doit à ses amis musulmans, à leur longue amitié spirituelle, dans la fidélité à sa vocation.
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Les tatouages décryptés
Comme la langue, les tatouages font partie de la culture berbère. Cet « art du corps », pratiqué depuis l’Antiquité, est langage à déchiffrer, moyen de communiquer, de s’identifier, de se parer. Les mêmes signes et dessins se retrouvent sur les objets et les peintures, et ce sont les femmes qui les transmettent. Pour les sauver de l’oubli, et les offrir aux jeunes à la recherche de leurs racines, notamment dans l’émigration, Lucienne Brousse les a rassemblés, à partir des relevés d’Eliane Ocre, et décryptés dans un ouvrage paru en 2012.
Lewcam, Beauté et identité féminine, les tatouages féminins berbères, régions de Biskra et de Touggourt, 108 p., Éd. Dar Kehttab, Algérie.
Guillemette de la BorieSœur Lucienne Brousse, le 30 septembre 2015 à la salle d'exposition, Mohamed Zemirli, Maison de la culture Mouloud Mammeri à Tizi-Ouzou, lors de l'exposition des travaux photographiques des stagiaires de Studio 21 école du 30 septembre 2015 au 03 octobre 2015.
Après une longue convalescence Lucienne Brousse est de retour.Elle s'attelle à terminer un nouveau livre de recherche "CHBIKA" la dentelle algérienne.