Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Un Zouave, plante l'étendard, sur le toit de la mosquée d'Aït Lahcen. 

Afin d'assister, du haut de la crête principale, aux opérations de ses divisions, le maréchal suit le chemin de l'avant-garde. A cheval, en tête de son seul état-major, il s'engage dans un sentier kabyle qui traverse en sinuant la rampe boisée d'Ait-el-Hassem, au-dessous de ses premières maisons. La brigade Deligny, impatiente d'arriver à l'ennemi, a tourné rapidement cette rampe, sans répondre qu'à peine au feu des défenseurs du village : ses dernières compagnies sont déjà hors de Vue. Dans la rapidité de ce mouvement, elle a laissé derrière elle, sur sa route, trois de ses hommes tombés sous le feu d'Ait-el-Hassem. Du haut de leur village, les Yenni peuvent découvrir les blessés, et, à l'abri de leurs arbres, descendre sur eux impunément. C'est leur coutume sauvage d'achever tout blessé et d'emporter sa dépouille comme un trophée de victoire. En vue d'une veste d'uniforme à conquérir, le Kabyle ne connaît ni pitié, ni danger. Le maréchal s'arrête et envoie l'un de ses aides de camp chercher les mulets de cacolet de la brigade Gastu, qui marche à sa gauche, plus bas, hors portée de voix. Quelques balles, parties du village, passent dans les feuilles des frênes; mais l'ennemi n'ose pas descendre; les soldats du train arrivent bientôt avec les mulets; l'un des officiers d'état-major, le commandant Faure, et quelques autres, aident les trainglots à charger les blessés. Le maréchal continue sa marche et prend place sur la crête principale, entre Ait-el-Hassem et Ait-el-Arba. Ce dernier village est déjà au pouvoir de la brigade Deligny : tournés sur leur gauche par le 1º bataillon de zouaves, tandis que le 13° bataillon de chasseurs et le 45°de ligne les abordaient de front, ses défenseurs n'ont résisté qu'à peine. Les soldats, entraînés par leurs chefs, ont couru sur le village au pas de course, l'ont pris d'assaut et l'occupent. Mais les deux bourgs kabyles ne sont séparés entre eux que par un plateau découvert, large de cinq à six cents mètres environ. Le mouvement de l'avant-garde Deligny a été si rapide, que la division Renault n'a pas encore commencé d'attaquer, et que les Kabyles, retranchés derrière les maisons de leur petite ville, dirigent sur le maréchal et sur les troupes maîtresses d'Ait-el-Arba un feu qui peut devenir meurtrier. La division Renault ne doit pas tarder à donner, mais son attaque même augmentera le danger : la disposition du terrain est telle que la brigade Deligny est sous son feu direct, à mille ou douze cents mètres; les boulets destinés à Ait-el-Hassem peuvent passer par-dessus ses maisons et arriver jusque sur nos troupes. Cependant le feu de l'ennemi augmente; le temps presse : un soldat est blessé par une balle kabyle au pied même d'Ait-el-Arba, derrière l'état-major, au milieu des chevaux de l'escorte.


Le maréchal donne ordre au général Jusuf de lancer immédiatement la brigade Gastu sur Ait-el-Hassem, et envoie l'un de ses plus jeunes officiers, le lieutenant Bibesco, prendre nouvelles du général Renault et l'informer de la position de la 3° division. Le jeune homme part au galop de son cheval, à travers les haies et les fossés kabyles, sans s'inquiéter des défenseurs d'Ait-el-Hassem, puis dis paraît derrière les arbres du village. Le général Gastu masse rapidement à l'entrée du plateau deux bataillons du 1º de zouaves. Le clairon sonne la charge. Aussitôt, comme partout où le devoir l'appelle, Comme hier et demain, comme l'autre année à Malakoff, comme l'autre jour chez les Beni-Raten, le colonel Collineau, suivi de tous ses hommes, se lance au pas de course sur le village. En une minute, la petite plaine d'Ait-el-Hassem se couvre de leur flot rapide : des fumées bleuâtres, emportées par le vent, couronnent un instant le village ennemi; le cheval du général Gastu tombe sous une balle ; le cavalier se dégage et continue sa marche à pied. Quelques hommes s'arrêtent, blessés; la masse va toujours, sans tirer : elle court le fusil à l'épaule, pour courir plus vite, alors, comme une troupe de daims effarés qui voit venir la chasse, les Kabyles se pressent sur les murs de leur village ; on voit leurs silhouettes blanches se dresser dans l'air, disparaître un instant, puis reparaître sur les déclivités de la montagne, et fuir vers les ravins des Beni Boudrar. Cinquante à soixante hommes, derniers défenseurs de la ville abandonnée, s'échappent ainsi. Mais à ce moment, comme les premiers zouaves arrivent au pied d'Ait-el-Hassem, une poussière s'élève au-dessus du toit d'une haute maison kabyle ; un coup de canon retentit, sonore, répété par tous les échos de la montagne.
La division Renault, ignorante des mouvements des colonnes Jusuf, ouvre son feu. Ses boulets vont atteindre les zouaves sur les murs ennemis ? Quelques secondes passent ainsi lentes de crainte : chacun suit d'un regard inquiet tantôt les maisons kabyles, et tantôt les zouaves, redoutant une explosion nouvelle. Mais le clairon seul retentit. Le général Renault est informé des mouvements de la 3° division. Ses clairons d'attaque se mêlent à ceux des zouaves; par tous les côtés de la ville assiégée, on voit des uniformes escalader les murailles et disparaître dans l'intérieur. Un zouave, courant de toit en toit comme un couvreur hâté, arrive jusqu'au pavillon de la mosquée, y monte, et plante l'étendard de son bataillon sur le sommet du toit. Sur les murs et toutes les maisons qui couronnent le ravin, par lequel ont fui les Kabyles, on voit des soldats tirant sur les fugitifs ; puis bientôt, las sans doute d'un tir inutile, ils disparaissent derrière un mur, comme ont fait les Kabyles, pour reparaître au bord du ravin, insatiables de combats, de poursuites et de morts.

Mais Ait-el-Hassem est pris : entraînés par l'ivresse du triomphe, les soldats peuvent aller trop loin parmi l'ennemi et ne plus revenir. Le maréchal fait sonner la retraite. Les zouaves arrivent par tous côtés, au pas, comme des chasseurs qui ont fait chasse. L'un porte à la baïonnette de son fusil des galettes kabyles mal faites et mal cuites ; un autre ploie sous le fardeau d'un sac si rempli, que le blé qu'il contient suinte par les coutures ; un troisième tient un étau de forgeron. Celui-ci porte à l'épaule comme une amphore, un grand vase de terre rouge, à peintures noires, à forme étrusque. Celui-là tient à deux mains une jarre pleine d'huile ; la plupart sont chargés de menues poteries rougeâtres à formes antiques. Mais : « en vérité, comme ils disent, la razzia ne vaut pas la course. » Et, à travers des rires, chacun d'eux, en passant, se plaint de ces brigands de Kabyles qui ont tout emporté ! Les deux principaux villages des Beni-Yenni sont aux mains des deux divisions; il ne reste plus à prendre que Taourirt-Mimoun, situé sur le même contrefort, à six ou sept cents mètres d'Ait-el-Arba, de l'autre côté d'un vallon à pentes douces, qui rend l'attaque facile ; puis Taourirt el-Hadjaj, placé un peu plus loin.


Le maréchal donne aux troupes un repos de quelques heures. Elles en profitent pour manger d'abord  car, quoi qu'en prétendent quelques soi-disant poëtes, manger est ici-bas le premier besoin, et partant le premier soin de toute créature animée. Les soldats ont laissé leurs sacs dans la vallée avec les mulets, mais ils ont le café et le biscuit, ces compagnons de route qu'ils ne laissent jamais.
Chacun d'eux s'installe vite et bien; les quelques provisions trouvées dans les deux villages ajoutent leurs maigres hors-d'œuvre à la prébende ordinaire; le bois et les poteries ne manquent pas ; en quelques minutes, des feux aux flammes claires, aux foyers comme des fournaises, couvrent de tous côtés la crête de la montagne.


Quant aux officiers, c'est autre chose : les mulets de provisions ne sont pas arrivés. Chacun mange comme il peut, ce qu'il peut trouver. Les prévoyants viennent au secours des oublieux ; les soldats partagent fraternellement leur ordinaire avec leurs chefs qui n'ont rien. Le maréchal, quelques généraux et l'état-major s'installent sous un figuier et font de compagnie, sur maigre pitance, vigoureux appétit. A la guerre comme à la guerre. Si les héros affamés de l'Italie, les martyrs de la Russie, nos pères,avaient toujours trouvé comme nous, si chaud bivouac et si chère lie, combien, hélas! combien de ceux qui ne sont pas revenus, de ceux dont les os blanchissent là-bas, combien seraient avec nous aujourd'hui encore, vieillards doucement assis autour du foyer natal ! Pendant le calme de ce bivouac victorieux, deux escadrons de cavalerie, sous les ordres du colonel Fénelon, viennent camper sur le petit plateau d'Ait-el-Hassem. 


Depuis trente-cinq jours, sans mouvements, chevaux et cavaliers sont consumés par la chaleur torride de la plaine du Sébaou ; chaque jour, depuis un mois, ils subissent, dit-on, plus de quarante degrés, à l'ombre : ils ont besoin de l'air et des dangers de la montagne. La cavalerie inspire aux Kabyles montagnards une terreur indicible ; son apparition sur ces crêtes, réputées inaccessibles, peut agir sur les superstitieux Berbers et accélérer leur soumission. A Ces fins, le maréchal a fait monter deux escadrons chez les Beni-Yenni, dont les plateaux, plus larges et moins accidentés que ceux des autres tribus, permettent aux chevaux de se déployer librement. Ils ont quitté au point du jour  leur camp de Sikhou-Meddour, dans la plaine du Sébaou, suivi les gorges de l'Oued-Aissi et de l'Oued-Tleta, puis, par le chemin du général Renault, rendu praticable dans la matinée, gravi pacifiquement la crête des Yenni.


Le maréchal leur laisse quelques instants de repos : puis, afin d'utiliser immédiatement leur présence en frappant les Kabyles d'un effroi favorable aux soumissions, donne l'ordre à la division Jusuf d'enlever le village de Taourirt-Mimoun, dont les défenseurs, encouragés par l'impunité, font sur Ait-el-Arba un feu presque inoffensif, mais incessant. Quelques fusées, au vol toujours pittoresque et capricieux, puis une batterie d'artillerie plus sérieuse, chassent d'abord l'ennemi du village qu'il occupe ; l'infanterie marche sur la bourgade abandonnée et s'en empare sans résistance, presque sans danger : à peu près, comme dans une petite guerre, le vainqueur de convention prend, après parade, le camp du vaincu. Mais tandis que les fantassins se répandent dans les maisons, les deux escadrons de cavalerie, chasseurs et spahis, descendus derrière eux, tournent le village par la gauche, et, se répandant sur un versant demi-boisé qui le borde, se jettent sur les fuyards attardés et les poursuivent aussi loin que les chevaux peuvent aller, à travers les accidents du terrain. Deux cavaliers et M. Gaulier, sous-lieutenant des chasseurs, sont blessés dans cette charge.

.../...
 

At Yanni, Beni-Yenni, histoire et légendes 5
Tag(s) : #At Yenni Beni-Yenni, #Histoire
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :