Après une absence de plus de six mois passés dans l'Est du pays, Slimane, un paysan respecté du village Ivudraren, est en route du côté sud de la montagne pour rentrer chez lui. Flanqué de son âne fidèle, une bête robuste nommée Vriruche (très futé et docile), ils cheminaient vers la majestueuse chaîne du Djurdjura, impatient de retrouver sa famille. Ce retour marqué la fin de sa propre "saison d'émigration" temporaire ; à son arrivée, son frère aîné Vlaid, prendrait le chemin inverse, partant à son tour pour six mois de labeur loin du foyer.
Mais pour l'heure, une épreuve redoutable les attendait : la traversée d'Azrou Madène, dont les crêtes abruptes culminent à plus de 1 800 mètres d'altitude, par une piste que seuls les autochtones connaissent.
Ayant usé de l'hospitalité légendaire des villageois du versant sud, échangé les dernières nouvelles à transmettre, Slimane quitte ses hôtes du village d'Ighzer dès les premières lueurs de l'aube. Une lourde appréhension le nouait, la saison était avancée, la neige peu abondante en altitude, ne sera pas un obstacle, d'autant plus que le ciel est d'un superbe bleu, annonçait une journée magnifique.
"un jour, Vriruche. Un jour, même dans le pire des cas, murmura-t-il à l'oreille son compagnon, en caressant sa crinière veloutée, avec une voix à peine audible dans l'air froid. "C'est tout ce qu'il nous faut."
L'ascension commence dans un chaos blanc, à mesure qu'ils gravissaient les sentiers, ils s'enfonçaient un peu plus profondément dans la neige . Au fur et à mesure la piste devient imperceptible. Bientôt, la progression devint un combat épuisant. Prévoyant, Slimane s'arrêta. Il déroula et attacha solidement des sacs de jute autour des sabots de Vriruche et les enroula autour de ses propres pieds, créant des protections de fortune pour améliorer l'adhérence et éviter de s'enfoncer trop. Cette précaution leur permit d'atteindre le col sans trop de peine, mais l'arrivée au sommet fut un choc.
Là, le paysage habituel était méconnaissable. Le plus inquiétant n'était pas la profondeur de la neige, mais la tempête qui se levait. Le vent hurlait avec une violence que Slimane , pourtant habitué des rudes hivers du Djurdjura, n'avait jamais vue. Des rafales glaciales soulevaient la poudreuse en un mur épais.
Il amorça la descente, de l'autre côté, en s'appuyant sur Vriruche. Très vite, ils étaient submergés, dévalant la pente dans plus de trois mètres de neige molle. La visibilité devint nulle. La poudreuse tourbillonnait, effaçant toute notion d'espace. Il n'y avait plus de haut, ni de bas, pas de Nord, ni de Sud. C'était un chaos blanc et assourdissant.
"C’est la fin, mon ami = A nemeth a Vrirouche agmaaa !…" se dit-il, la gorge nouée, le souffle coupé, la terreur glacée, l'enfer blanc. Le film de sa vie se mit à défiler à toute vitesse, flashs de souvenirs destinés à s'éteindre.
Pour repousser ces pensées macabres, il se mit à encourager son âne à voix haute, parlant au compagnon d'infortune comme s'il était un humain. Le son de sa propre voix, étouffé par la neige, fut un point d'ancrage.
"Tiens bon, Vriruche ! On est là ! On continue !"
Cette affirmation, bruyante eut un effet salvateur : ils étaient toujours en vie, ils n'étaient pas tombés dans un ravin, ni emportés par une avalanche. Dans un désespoir lucide, ils continuèrent d'avancer, ou plutôt, de se débattre. Il ne savait plus s'ils marchaient, nageaient ou volaient, quand soudain... le noir total...
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Immobile dans un silence effrayant et ouaté, il revient lentement à lui. Il ressent une chaleur douce de son propre souffle, et entendit la respiration régulière de son âne tout près. Petit à petit, il réalisa, qu'ils étaient encore vivants, protégés dans une grotte.
Dès que ses yeux s'acclimataient à la pénombre, il aperçoit d'étranges silhouettes, des hôtes inattendus. La cavité était habitée par une colonie de singes magots, célèbres dans la région. Curieusement, aucun n'était effrayé par leur présence. Ils semblaient au contraire indifférents, peut-être conscients que le danger imminent ne venait pas de ces intrus trempés, mais de l'implacable menace extérieure.
Slimane choisit pour lui et Vriruche, un petit coin le plus en retrait possible, respectueux du refuge de ses hôtes.
La tempête déchaînée dura plus de dix jours. Dix jours d'enfermement angoissants. Et pourtant, dix jours de survie. Chaque matin, Slimane découvrait sur un rocher, à l'entrée, bien en évidence, une petite provision : une poignée de figues sèches et quelques glands. Ces offrandes, déposées intentionnellement par les singes, leur sauvèrent la vie.
Lorsque le temps se dégagea enfin, le ciel était d'un bleu éclatant et les sommets recouverts d'une poudre blanche étincelante. Slimane n'eut aucune peine à retrouver ses repères. Après avoir salué ses bienfaiteurs en un silence respectueux, il reprit son chemin et rentra chez les siens.
Il raconta son aventure en détail à tout le village. Depuis ce jour, Slimane, le respectueux paysan, ne revint jamais les mains vides à Azrou Madène. Chaque année, au premier signe de l'hiver, il chargea sur le dos de Vriruche un sac de figues sèches et un sac de glands, qu'il déposait avec gratitude à l'entrée de la grotte, le refuge de ses gardiens inattendus.
À la mort de Dda Slimane, le contrat moral a continué à être honoré pendant des siècles, dès que les guerres ont éclaté, tout s'est arrêté, depuis les magots font des razzias aux villages limitrophes du Djurdjura.
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