Le gouffre du Léopard est localisé dans le massif du Djurdjura à 2150 mètres d’altitude entre Aswel et Tikjda. La traduction maladroite en Kabyle a donné "Anou Ifflis" au lieu de "Anu Iffis", (Iffis= hyène tachetée) et non le léopard. Nous garderons quand même cette appellation, car c’est ainsi qu’il est nommé, répertorié et enregistré par les premiers spéléologues qui ont fait sa découverte. Ce nom a pour origine la présence des taches d’argile colorée déposée par l’eau sur les parois qui présentent des motifs pareils à ceux de la fourrure du léopard ou de la hyène du Djurdjura.
Les expéditions françaises en août et en octobre 1983 avaient établi après explorations, la profondeur à 975 mètres. La présence d’eau en quantité importante au fond du gouffre faisait croire à un hypothétique siphon, dénommé même par ces derniers : "siphon Luc-Henri Fage" organisateur des trois expéditions. http://www.speleo.fr/cv_luc.htm
Les Français reviennent durant l’été 1984 sans parvenir à franchir l’obstacle du fond, faute de matériel adéquat.
En 1985 les spéléologues du club de Gracia Barcelone "Espeleo Club de Gracia" arrivent au Djurdjura avec du matériel de spéléo plongée. Il a fallu d’importants efforts pour acheminer le matériel de plongée au fond en le passant à travers les goulots autrement appelés étroitures ou chatières. Arrivé à la profondeur indiquée, point de siphon, mais une voûte qu’ils franchissent sans difficulté avec une main courante, après quelques dizaines de mètres, ils remontent, faute de matériel, sans conclure sur la profondeur définitive ni sur l’existence de siphon.
La nouvelle du nombre important d’expéditions à Anou Ifflis s’étant répandue, l’intérêt de la communauté spéléologique augmentait pour ce gouffre qui s’annonçait déjà parmi les plus profonds explorés. Une compétition discrète s’engagea entre les spéléologues du monde qui préparaient leurs expéditions en Algérie dans le Djurdjura. Nous, spéléologues algériens des clubs de Béjaïa, Boufarik et At-Yenni, étions bien entendu hors circuit non pour des raisons physique ou de maîtrise technique, en fait notre grand handicap était le matériel de spéléologie qui était quasiment inexistant en Algérie. Nous nous sommes quelque peu équipés sommairement en rachetant les équipements usés de nos collègues étrangers qui, après les explorations au Djurdjura, se débarrassaient de leur matériel pour faire du tourisme dans le pays. Une cinquantaine de spéléologues confirmés et robustes faisait la force de nos trois clubs. Certains participeront par la suite aux missions de secours et ont sauvé des vies humaines en milieux périlleux.
L’assaut de cette bête féroce était donné en 1986 à la conquête. Les spéléologues arrivaient de tous les pays, les Catalans de Barcelone du club de Gracia revenaient, renforcés par les Madrilènes, les Français, Belges, Australiens, Canadiens, Américains, Roumains et bien sûr nous les Algériens. Le gouffre ne pouvait pas contenir tout ce monde, il a fallu négocier et arrêter un programme avec un calendrier précis pour que les spéléologues puissent évoluer sans se gêner, nonobstant les différentes langues, le langage spéléologique s’est avéré efficace.
Il était clair qu’en cas de problème dans le gouffre le secours était quasiment impossible, le milieu était vraiment hostile et portait très bien son nom : Gouffre du léopard.
Ci-après, des rectificatifs et complément d’informations apportés par Luc henry Fage lors de notre conversation (octobre 2013), dont voici un extrait :
- “… Peux-tu me donner des précisions sur vos expéditions à “Ifflis“ ?
- D'abord, la première expédition remonte à Pâques 1983, nous avons exploré le terminus précédent (-250 m) vers - 500 m. L'été suivant, revenant en Interclub avec les Parisiens, qui s'étaient réveillés suite à nos explorations de Pâques, nous a permis de toucher la cote calculée à l'époque à -975 m, arrêt devant ce que nous avons tous pris pour un siphon... l'eau glacée et profonde après une exploration de plusieurs heures dans les grands puits et dans la rivière Emria, ne m'ont pas donné envie d'aller m'y vaquer. J'ai pris une photo, qui a montré que la roche et l'eau ne faisaient qu'un ce jour là. Tous les spéléos parisiens qui sont allés au "siphon" le lendemain ont pensé la même chose...
Nous avons alors décidé une expédition plongée au cours des vacances d'automne 1983... Hélas, le temps était à la pluie sur Tikjda, et après une pointe vers -500 m, on a constaté que le gouffre était en crue dans les grands puits... on a donc fait du tourisme sous la pluie...
Eté 1984, nous sommes revenus, mais sans le plongeur qui n'a pu venir au dernier moment. On s'est donc consacré à de la prospection sur le djebel Haïzer et à faire le Boussouil jusqu'à l'ancien terminus...
L'été 1985, rien, on était ailleurs, et ce n'est qu'en 1986 que je devais revenir avec une grosse expédition interclub, qui devait plonger le siphon terminal. Au dernier moment, on m'a proposé de faire le film d'une expédition de raft sur le fleuve Zaïre... et j'ai laissé tomber l'anou Ifflis... mais quelques copains à moi, qui faisaient partie de l'expédition, m'ont raconté leur surprise en voyant le siphon n'être qu'un lac perché au-dessus d'un autre puits, etc. Ils sont allés à -1160 m (la cote du "siphon" a été ramenée à -860 m, je ne crois pas leurs seconde topo ??).
-Ce siphon porte justement ton nom !
-Ce n'est pas moi qui aurais appelé le siphon de mon nom. Je ne l'ai jamais fait nulle part !!! Je précise également que la rivière “Emria“ est le nom d'une jeune fille avec qui j'avais bien sympathisé sur le bateau en 1984, et qui allait visiter sa famille en Algérie... Je ne l'ai jamais revue.
Encore une précision : le nom Ifflis. A l'époque je faisais mon service national aux archives d'outre-mer, à Aix-en-Provence, et entre deux dossiers poussiéreux d'archives sur la guerre d'Algérie, je suis tombé sur un dictionnaire kabyle-français fait au XIXe par un curé français. Il donnait le mot "Ifflis" pour le tigre, le lion, bref tous les grands félins qui n'existent d'ailleurs plus en Afrique du Nord, et comme il n'y avait rien pour Léopard, j'ai choisi Ifflis pour Gouffre du Léopard, comme nous l'avions appelé dès les débuts.
Effectivement, peu après il y a eu les "événements" douloureux que l'on sait en Algérie, et cela a calmé les spéléologues... Mais je repense souvent à ce petit paradis de la spéléologie... et à ce très beau pays qu'est la Kabylie...“
Mohamed Amokrane Yamoun à la sortie du gouffre en 1986
Photo Mohamed Tabèche
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