La lettre de Dda Hemou
Nous avons prolongé notre balade jusqu’à Tikjda, dans sa magnifique cédraie, là j'ai repris contact avec les membres de la direction du Parc. Au carrefour, à proximité de l'hôtel des cèdres, à coté de la remontée mécanique (en panne permanente), une colonie de singes Magot avait pris possession des lieux au milieu des gens. Spectacle inhabituel pour moi, jadis en ces lieux, le Magot se tient à une bonne distance des hommes, aujourd'hui les mains tendues donnent et prennent du pain, des biscuits et d'autres sucreries très néfastes pour l'espèce, quelle désolation !
Permettez-moi de vous présenter le singe Magot, de son nom scientifique Macaca sylvanus. Il se caractérise par l'absence de queue et vit dans les montagnes des pays de l'ouest de la Méditerranée, au Nord de l'Algérie et du Maroc ainsi qu'au sud de l'Espagne à Gibraltar. Il en existe aussi dans la Montagne des singes en Alsace. Ces singes de France sont avec les macaques du Japon, les primates les plus septentrionaux. Le Magot est omnivore ainsi son régime alimentaire se compose de fruits, des graines, d’insectes, de mollusques, de certaines racines et plantes qu'il sait d'instincts non toxiques. L'homme (touristes, bergers,…) lui dispute et détruit son territoire, lui donne de la nourriture inadaptée, le braconne et le harcèle, alors qu’il est le premier habitant de ces lieux depuis des millénaires.
Les singes nous ont présenté un véritable show, bondissant de branches en branches, utilisant les remonte-pentes abandonnés de la station de ski comme balançoire ou tremplin. Ce tourbillon de figures toutes aussi folles les unes que les autres se faisaient sous l’autorité et la surveillance d’un singe, qui semble plus grand et âgé. A la fin du spectacle, ce vieux sage bravant une peur légitime envers l’espèce humaine, dont il connaît la capacité de nuisance sous le prétexte "de civiliser" ou "d'instruire", s’est approché de moi d'une fière allure et me dit:
-Toi tu me parais sympathique et j'ai confiance en toi, je m'appelle Hemou.
Je ne sais pas si c'est moi qui avais compris soudain le langage des singes ou c'est lui qui connaissait notre langue. Pendant que mes enfants disputaient des fruits avec les siens, nous avons parlé de beaucoup de choses, même des images que je prenais avec ma camera.
- Filme ! Filme ! Me dit-il, il se pourrait que dans peu de temps tous disparaissent, ce décor, les arbres et nous, seules ces images resteront. Me dit-il tristement et de poursuivre dans un sursaut :
-Pourras-tu nous obtenir des vidéos de nos cousins d'Alsace ? Et à propos de cousins, puis-je te demander un service ?
-Bien sur, ne suis-je pas ton ami ? Et l'ami de tous les animaux d'ailleurs.
Il me tend une lettre à transmettre à Cornélius, son cousin d'Alsace. Il m’a autorisé à vous en donner la teneur, aussi voici cette lettre :
Lettre du Singe de Kabylie au singe d'Alsace.
"Habituellement je ne sais pas écrire, mes lointains ancêtres du Japon : Mizaru, Kikazaru, Iwazaru, me l'ont déconseillé, rappelez vous de la célèbre sagesse ou de l’adage populaire des trois singes : Ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire. "Aujourd'hui c'en est trop, je te lance un appel de détresse à toi mon cousin d'Alsace, qui a réussi à émigrer en France, tu as de la chance d'avoir une montagne toute à toi et qui porte même ton nom. Quelle chance tu as toi, que les hommes de chez toi savent comment t'aimer, en te respectant en te donnant un territoire, que tu occupes seulement depuis quarante ans. Nous ici, ça fait des millions d'années qu'on occupe le Djurdjura et on veut nous exproprier, ces hommes détruisent nos "maisons" quand ils ne les brûlent pas, pour construire : Hôtels, Chalets, stade, routes (éclairées la nuit), salle de prière... Ils viennent jusqu'à nos portes, pour empoisonner nos enfants avec leur nourriture dangereuse, parfois ils les kidnappent pour les vendre ou en faire des attractions dans les places et les souks. Habitués par le nouveau régime alimentaire, nos enfants sont devenus paresseux, ils quittent souvent notre territoire, qui se réduit comme une peau de chagrin pour envahir les potagers et même les maisons des villageois, qui parfois les accueillent avec du plomb. Quand ils sortent en escapades nous sommes angoissés de ne plus les revoir, tu comprends ? Il pourrait leur venir l'idée de faire comme les "Haragas"
Tu es un singe comme moi, donc tu peux me comprendre, peux tu m'expliquer les secrets de ta réussite ?
Fraternellement "Hemou "
J’ai repensé au geste de civisme des gamins, Sofiane et Ghilas quelques heures plus tôt et je me suis engagé auprès de "Dda Hemou", à transmettre son courrier, mais aussi son appel de détresse avant que nous regrettions la disparition des espèces, qui assurent plus ou moins le fragile, sensible et précieux équilibre de la terre. Egalement à soutenir la cause de Dda Hemou et de ses congénères avec l'aide de nombreux amis où qu'ils se trouvent.
Avec l'aimable participation de Abbas Toumert 09 09 2009
El Watan du 31/5/2015
Nous sommes envahis par les singes magot, la direction du parc national du Djurdjura organise des lâchers clandestins depuis 2008 sans mesurer l’impact de ces mammifères que ce soit sur l’environnement, ou sur la vie des populations qui vivent dans la région.»
Ce cri d’alarme est celui du président de l’APC d’Iboudrarène, Abdeslam Lakhal, qui ne cesse de recevoir les plaintes de citoyens victimes des ravages qu’infligent les singes magot à leurs habitations et plantations. «Ils n’épargnent ni fruits, ni légumes, ils saccagent tout sur leur passage», explique-t-il.
«Même l’équilibre naturel est menacé, car ces primates s’attaquent aux nids d’oiseaux, détruisant ainsi d’autres espèces». Il faut savoir que ces macaques se nourrissent de glands, d’écorces, d’aiguilles de cèdres, de champignons et de proies animales. Aux abords des zones agricoles, comme c’est le cas dans cette région, ils consomment également des fruits des légumes, des céréales ainsi que d’autres plantes. «Comment le PND censé préserver la faune et la flore du parc national du Djurdjura a-t-il pu entreprendre une opération pareille ?» se demande notre interlocuteur.
Et d’ajouter que les multiples tentatives de sensibiliser les autorités locales autour de ce problème sont restées sans réponse : «Nous avons saisi par lettre toutes les administrations concernées, mais les responsables font la sourde oreille». Ce constat amer est corroboré par de nombreux présidents de comité de village : «Nous sommes coincés entre la marteau et l’enclume ; d’une part, la réglementation en vigueur qui protège ces animaux, et d’autre part les dégâts qu’occasionnent les singes magot ; on dirait que c’est fait exprès».
Face au mutisme des autorités, les citoyens ont décidé d’agir afin de protéger leur territoire, et ce, en décidant d’organiser des battues. «La sécurité alimentaire et physique de l’humain doit primer sur celle de ces macaques de barbarie qui règnent en maîtres des lieux», conclut M. Lakhal. Ce phénomène nouveau est déploré dans l’ensemble des villages situés à l’intérieur du parc ou à ses alentours. Il faut savoir que 80 000 habitants résident à la périphérie immédiate et 6000 à l’intérieur même de la réserve.
Les villages kabyles les plus touchés sont ceux accrochés sur les deux faces de la montagne et qui pendent à mi-versant de celle-ci. Ils sont composés de plusieurs communes : Iferhounène, Abi Youcef, Akbil, Iboudrarène, Ouacifs, Aït Boumahdi, Agouni Gueghrane, Aït Bouadou, Assi Youcef, Boghni, sur le versant nord, et Aghbalou, Saharidj, El Adjiba, El Asnam, Haïzer, Taghzout, Aït Laziz et Bechloul, sur le versant sud.
La planète des singes !
Effectivement, dans cette région que nous avons visitée le constat est accablant. La prolifération de cette espèce saute aux yeux. 4800 singes magot peuplent actuellement les forêts du Djurdjura, occasionnant au passage des dégâts considérables aux plantations et autres exploitations agricoles.
Les singes magot n’en restent pas là, ils s’attaquent aux maisons, saccagent les toitures, les fils électriques. On se croirait dans le film La planète des singes de Matt Reeves, L’affrontement. Mais le scénario ne se déroule pas à San Francisco en Californie, mais bel et bien dans les villages dépendant de la daïra de Benni Yenni et Ouacif à Tizi Ouzou.
Contacté par nos soins, le chef d’antenne du parc national du Djurdjura, M. Dahlal, nie catégoriquement avoir organisé ces lâchers et souligne qu’aucun animal n’a été introduit dans la région. «Nous n’avons pas les moyens d’apporter un seul animal, ni de le prendre en charge». Il explique que ce phénomène est dû à la désertion de la région par les citoyens pendant la décennie noire, abandonnant leurs maisons et leurs champs.
L’autre raison avancée par ce même responsable, ce sont les incendies répétés ces dernières années qui ont chassé ces primates de leur milieu naturel. «Le singe magot qui est un animal intelligent a migré de la montagne vers les villages à la recherche d’un meilleur environnement et surtout plus confortable et facile», explique t-il. Il revient dans ses propos sur l’étude qui a été lancée depuis deux ans autour de ce problème.
«L’étude achevée s’est soldée par des recommandations qui visent à minimiser l’impact de ces primates sur les terrains de cultures». Elle préconise «la réhabilitation de l’habitat naturel de ces singes à travers des implantations de diversion (arbres fruitiers et autres cultures) au niveau des massifs montagneux afin de repousser les singes vers leur habitat naturel».
Il est également recommandé de recruter des vigiles afin de chasser ces mammifères des villages et des champs, «le temps qu’ils s’habituent à leur nouvel environnement», ajoute M. Dahlal. Une opération qui ne peut s’accomplir sans l’implication des comités de villages, a-t-il souligné «car le parc national s’étend sur une superficie de 18 500 ha et il faut que les citoyens nous aident dans cette action».
Le même responsable reconnaît par ailleurs «que les résultats de l’étude restent insuffisants et que les autorités ont sous-estimé le phénomène en ne lui accordant pas l’importance qu’il mérite». «Il faut dire que les recommandations de cette étude sont insuffisantes pour éradiquer ce problème. Il y a visiblement une absence de volonté de la part des autorités à le faire», a-t-il conclu. De son côté, M. Tabti, directeur des forêts de la wilaya de Tizi Ouzou a imputé l’invasion des singes aux citoyens qui ne respectent pas les règles de la nature : «Ces macaques peuplaient ces montagnes depuis la nuit des temps, ils ont été chassés de leur milieu naturel par l’homme qui a détruit toutes leurs ressources».
Le captage abusif des sources d’eau et les incendies qui ont ravagé des forêts entières ces dernières années dans la région ont poussé ces singes à changer de milieu à la recherche d’eau et de nourriture. Pour lui, «aucun singe, ni aucun un autre animal n’a été lâché dans la région». Ce qui n’est pas du tout l’avis des citoyens.
Des villages «envahis»
Cette espèce, qui présente une grande capacité d’adaptation morphologique au froid et donc à l’environnement montagnard, a toujours vécu dans les massifs montagneux de l’afrique du Nord. C’est une spécificité de la région, le phénomène nouveau est l’envahissement des villages. Pour Ammi Abderrahmane, agriculteur et éleveur de bovins au village de Bouadnane, les singes ont toujours peuplé les montagnes du Djurdjura, «mais on ne les voyait jamais s’approcher des villages, encore moins des maisons, mais depuis 6 ans leur nombre a été multiplié par mille, et aujourd’hui ils règnent en maîtres des lieux, saccageant tout sur leur passage».
Les villageois sont formels, l’Etat représenté par le PND a lâché des loups et des singes ces dernières années. «Il y a des personnes qui ont vu des camions remplis de ces bêtes, maintenant qu’ils ont constaté que l’espèce du fait de son nombre porte atteinte à l’agriculture de montagne, ils se rétractent en niant tout, mais le mal est fait et toutes les autorités concernées avouent leur impuissance face au phénomène».
«Nous sommes natifs de la région, nos ancêtres ont vécu ici et jamais on n’a vu ces singes à côté de chez nous ; même dans les contes populaires ils n’existent pas, alors ils essayent de nous berner avec leurs histoires de migration, ces macaques ont été ramenés d’ailleurs», estime Ammi Ouamer du village de Bouadnanne. «La région est déjà abandonnée par l’Etat, nous n’avons même pas de gaz dans nos foyers, beaucoup de familles tirent leur subsistance à partir de leurs plantations, maintenant même ça ils nous le confisquent». La colère gronde dans ces villages depuis des années. «Dans plusieurs villages, les citoyens ont décidé de s’organiser pour défendre ce qui leur appartient puisque nous sommes abandonnés à notre sort», conclut Ammi ouamer.
De nombreux incidents ont été signalés dans la région. «L’année dernière, une vieille femme accompagnée de son petit-fils s’est retrouvée au service des urgences de Aïn El Hammam, un singe qui était sur le toit d’une maison l’a frappée avec une tuile», raconte un habitant du village de Tala N’tazart. «Ils jettent les pots de fleurs posés sur les balcons, imaginez si ça tombe sur la tête des passants ?» selon le P/APC de la commune d’Iboudrarène, M. Lakhal, même les fils électriques n’ont pas échappé aux dégâts causés par les singes, privant les habitants de l’électricité. «Les équipes de Sonelgaz interviennent souvent dans les villages pour réparer des pannes causées par les singes», ajoutera l’édile.
Problème de santé publique
Comme tout mammifère, le singe magot peut être porteur de nombreuses maladies contagieuses, dont la plus connue et la plus dangereuse, la rage. C’est pour cette raison que les spécialistes recommandent toujours de ne pas les approcher et de les observer de loin. Le contact de ces singes, qui de nature grimpent sur les arbres fruitiers et se baladent dans les exploitations agricoles au milieu des fruits et légumes, peut constituer un réel danger sanitaire pour les populations.
Leur intrusion dans les châteaux d’eau, comme cela avait été le cas l’année dernière au village de Tala n’tazart dans la commune d’Iboudrarene, peut être à l’origine de la contamination de l’eau destinée à la consommation. Surtout que le parc national du Djurdjura ne dispose d’aucun moyen logistique, ni humain pour vérifier régulièrement la santé de ces primates, selon M Dahlal.
Le parc national du Djurdjura est un vaste territoire composé d’un écosystème botanique et faunistique très riche. Un patrimoine vieux de 200 millions d’années qui se dégrade de jour en jour.
Durant notre visite dans la région, nous avons constaté des dépôts de déchets au niveau du site de Tilmatine, source naturelle transformée en décharge publique. Aucune poubelle n’existe le long de la route qui relie Iboudrarène à Tikjda. La station de ski de Tikjda est à l’arrêt depuis les années 1980.
Il n’existe aucun espace aménagé pour les visiteurs et les familles qui viennent se ressourcer le week end en quête de tranquillité et d’air pur. Le pâturage se fait de manière anarchique, sans aucun respect des saisons sur les flancs de la dorsale du Djurdjura.
La coupe de bois et d’autres actions qui portent atteinte à l’environnement sont menées dans l’impunité la plus totale. L’on se demande alors quel est le rôle du PND placé sous l’autorité de la direction générale des forêts ? Cette partie de la Kabylie très visitée par les touristes est complétement abandonnée.
De nombreuses associations organisent des sorties pour mener des opérations de nettoyage et de sensibilisation auprès des citoyens, mais cela reste insuffisant, de l’avis d’un amoureux de la montagne rencontré sur place.
Joint par téléphone, le chef d’antenne du PND de Ouacif avoue son impuissance : «Nous voulons faire énormément d’actions afin d’améliorer la vie des gens et préserver la parc, mais nous sommes confrontés à une absence de volonté de réaliser quoi que ce soit, nous ne disposons pas de moyens adéquats pour agir».
Ce qui ressort de notre enquête, c’est l’indifférence totale des autorités face à se qui se passe dans cette partie de la Kabylie, pourtant haut lieu de tourisme et de villégiature. A bon entendeur ! M. B.