Tahya est le surnom de Yahia Dahlal, artiste né le 22 août 1962, au village d’Aït Lahcen, commune de Beni-Yenni "At Yanni", Wilaya de Tizi-Ouzou, un mois après l’indépendance officielle de l’Algérie le 05 juillet, d’où ce nom Yahia " Tahya", slogan scandé à gorge déployée par la population depuis le 19 mars de la même année, date du cessez le feu. Cependant, la misère n’était pas partie avec la puissance occupante, la vie était très dure, malgré le dénuement presque total on ne se rendait presque pas compte dans l’hystérie générale de l’indépendance. Dans cette contrée du pays à cette époque et même après des années durant, l’état d’esprit est euphorique, les problèmes de la faim, du froid, de la maladie, d’école pour filles, d’échec scolaire pour les garçons, etc., tout était relégué au second plan, l’indépendance était comme une fin en soit "même s’il fallait manger de l’herbe" disait-on.
C’est une école sinistrée, qui avait déjà perdu sa laïcité, qui accueille Tahya et ses camarades. L’introduction de nouvelles matières, le recrutement d’enseignants étrangers, souvent médiocres, ont été des causes supplémentaires de nombreux échecs et fréquents pour les gamins et en grande proportion pour ceux touchés par l’immense pauvreté. Très tôt, Tahya, a choisi la chanson et la musique, c’est avec le groupe " Itij" qu’il s’est initié en 1974, il voulait devenir un grand artiste, il emprunte les chemins buissonniers qui l’ont amené inéluctablement vers la vie active et est livré ainsi à lui même. Tahya n’a jamais travaillé, ou peu, il aimait à dire que ses mains sont faites uniquement pour jouer de la musique. Quelque fois il s’est essayé à de menus travaux ça et là, pour pouvoir se payer son breuvage préféré.
En 1978 avec l’aide du groupe "Affous", Tahya a enregistré une cassette magnétique de six chansons, qui n’a pas connu de succès. Aujourd’hui son jeune frère projette d’éditer un compact disque, mais pourra-t-il retrouver le master ?
En 1982 il est appelé sous les drapeaux pour effectuer le service national, c’est dans la région de Béchar à Abadla qu’il passe vingt quatre mois, ses camarades de régiment ont gardé de lui de bons souvenirs. Partout où Tahya est passé il a laissé une bonne impression, sympathique, honnête, généreux, comique. Tahya était un grand artiste à l’état brut, sans artifices et naturel, avec son mandole et sa voix modulable en Atmani, Matoub ou Dahmane El Harrachi, il créait de l’ambiance et animait des soirées comme un professionnel. Avec ses compagnons d’infortune, il a sillonné toute la région, les villages d’Aïn El Hemmam, Ouacif Ouadhias et même encore plus loin vers Alger, Oran, Bel Abbès. Dés qu’il terminait une fête, avec ses accompagnateurs, il était immédiatement sollicité pour jouer dans une autre et c’était ainsi des mois durant et souvent sans contre partie.
En période creuse, il s’asseyait souvent derrière la maison des jeunes d’At Yani, face à la chaîne de montagne du Djurdjura à l’abri des regards, pour gratter les cordes de son mandole en sirotant sa fiole. Dans la région tout le monde le connaît et s’était habitué à son apparence clocharde, à sa démarche chancelante et même à ses fréquents états éthyliques. Le monde dans lequel il vivait était le sien, il s’y plaisait sans doute et aucun n’a pu le persuader de le quitter. "Je préfère vivre peu de temps comme il me plait, que de vivre longtemps comme l'exige la société" disait-il. Le temps qu’il avait vécu était plein, deux tiers du temps en plus que nous autres, puisqu’il dormait peu, ne mangeait presque pas et n’avait aucune activité professionnelle.
Comme beaucoup de jeunes sans logement ni travail, comme beaucoup d’artistes sans statut, obligés de bricoler pour vivre, Tahya avait certainement beaucoup de choses à reprocher à la société et à l’Etat. Il avait pourtant rempli ses obligations, envers eux, en aimant les gens en les distrayant, en effectuant son service national, en étant un citoyen sans problèmes et sans histoires. Il a été privé de ses droits comme beaucoup d’autres, il a quitté définitivement la scène en tirant sa révérence le 07 février 2009 pour un monde meilleur où il rejoindra ses amis artistes qui l’ont précédés, là, ils attendront les suivants, et ici bas la vie continue.
Le12 Mai 2011, Mohamed Tabèche