Par Lghotti Nekmouche Partie 1/4
C’est probablement l’ultime randonnée de la saison, il fait chaud et l’eau va bientôt manquer sur les circuits. Un périple de trois jours et deux nuits pour clore notre saga montagnarde. Une canicule est annoncée pat Météo Algérie, pendant les trois jours que durera notre randonnée, pour notre groupe c’est toujours le bon moment d’y aller, il faut plus pour nous en dissuader. En personnes averties, nous savons qu’en haute montagne, le temps est plus clément, l’herbe encore verte et l’eau abondante.
Neuf heures du matin, nous sommes sur la route de “Tala Guilef“. Traverser la zone militaire nous est interdit, il faut obligatoirement la contourner, ce qui allonge le trajet. La canicule annoncée est avérée, il fait chaud, le soleil est sans concessions. C’est le tronçon le plus en pente de notre périple mais pas le plus difficile. Nos sacs sont lourds, l’ascension est raide et éprouvante, il nous est pénible d’être performant dans ces conditions. De nombreuses haltes ont ponctué notre ascension. Après cinq heures de crapahutage, nous atteignons le pic des cèdres, la zone militaire contournée, la pente raide derrière nous, c’est déjà la haute montagne. L’atmosphère est plus agréable qu’en bas, une brise fraîche tempère l’ardeur du soleil, depuis longtemps au zénith. L’herbe est verte, l’eau de source est fraîche, nous respirons, nous apprécions. Pause déjeuner à l’ombre d’un énorme cèdre, nous reprenons notre souffle, nos corps sont meurtris, la bonne humeur est au rendez vous. . Il faut rejoindre le lac “Agulmin“ où nous devons bivouaquer la première nuit. Deux options s’offrent à nous, passer parle plateau de “Haizer“, parcours plat que nous connaissons, fait de pâturages, délimité au sud par « Djebel Haizer » avec sa légendaire dent du lion ,culminant à plus de deux mille mètres et s’interrompant au nord au niveau de fascinantes falaises plongeant à pic deux mille mètres plus bas. Vertigineux est ce côté nord du plateau, la vue est plongeante, c’est le vide, un précipice rejoignant les hauteurs de “Taburt Laincer“. Ou alors passer par une piste, creusée dans cette même falaise et la longeant, comme un chemin suspendu sur les parois de la montagne. L’esprit de découverte et d’aventure l’emporte, c’est le chemin des falaises qui est retenu, nous allons le découvrir tout au long de son parcours. Seul Mohamed est déjà passé par là, il y a une cinquante années de cela, il a traversé une faille de cinq à six mètres de large, sur un tronc d’arbre posé en travers.
En file indienne, suspendus entre ciel et terre, dans un silence de cathédrale, nous cheminons pas à pas, avec beaucoup de prudence et de précautions, notre concentration est maximale, la sécrétion d’adrénaline doit être à son maximum. Très vite, nous atteignons la fameuse faille que nous traversons à l’aise, une personne à la fois, grâce à un pont fait de structures métalliques fixées sur les parois rocheuses et sur laquelle sont déposés des madriers. Une appréhension en moins, un ouf de soulagement pour tous. La piste est tortueuse, étroite, escarpée par endroits, sinuant le long de la falaise à près de deux mille mètres d’altitude. Le précipice est sous nos pieds, il n’y a aucun parapet de protection, il faut rester concentré et vigilant. Nous nous arrêtons pour souffler quand se présente une protection entre le précipice et nous, des moments de détente, la vue est magnifique sur la vallée, les paysages sont sublimes, une féerie que nous apprécions, à chacun son commentaire. Abdenour, le photographe attitré est à la manœuvre. Le sourire retrouvé, rires et blagues décontractent l’atmosphère qui était quelques instants auparavant à la concentration. Certains endroits du tronçon sont réellement dangereux à passer, les plus aptes d’entre nous passent devant, déposent leurs sacs et reviennent soulager de leurs charges, les plus en difficultés et les aident à traverser. Ce ballet de va et vient s’est répété à plusieurs reprises. Nos sacs sont lourds et encombrés de matériel de couchage et de cuisine, débordant d’un côté comme de l’autre et qui risque à tout moment de cogner contre la falaise, vous êtes déséquilibré, c’est la chute et le drame. L’appréhension d’une chute est dans toutes les têtes. Une cordée, nous attacher les uns aux autres, sur ce tronçon aurait été souhaitable, Mohamed avait une corde dans son sac.
Falaises et précipices sont derrière nous, la tension a baissé, la route du lac est encore longue, il faut y aller si nous voulons arriver avant la nuit. 19 H 45 mn, nous y sommes, le lac est là, on s’allonge sur l’herbe encore grasse et verte, on se laisse aller, c’est délicieux....
Partie 2/4
Se relaxer, s’allonger sur du gazon, reposer son corps meurtri par dix heures de marche est délicieux. Passer une nuit à la montagne est excitant. Grande est notre satisfaction. Notre bonne humeur est là, notre enthousiasme plus grand pour faire de ce périple de trois jours, une fête, un clin d’œil à la montagne et un hymne à la randonnée.
Dix huit heures quarante cinqminutes, le lac est là, le jour baisse, le crépuscule est magnifique, les couleurs vives de la journée virent à l’orangé, un orangé reposant, l’orangé des couchers de soleil. Le temps est clément, une brise légère se lève, rafraîchissant à souhait une atmosphère surchauffée, il y a quelques instants. Nous bivouaquons au lac “Agulmim“. Ce spectacle, cette délicieuse atmosphère, tant de sérénité et de silence tempèrent notre fatigue et repose notre esprit. Assis ou allongés, nous organisons la journée de demain, l’heure de départ, le choix du lieu du prochain bivouac et nous briffons la journée écoulée, notant insuffisances et satisfactions, en attendant le dîner . Ce soir sera une nuit de sommeil, de récupération, la veillée sera pour demain
Après le dîner, je m’éloigne du camp, du côté de la source, faire un brin de toilette. Mon esprit est vagabond, il déroule des franges de ma vie, de la journée d’aujourd’hui aux souvenirs récents ou lointains. Il fait nuit noire, le clair de lune glisse sur le relief des montagnes, le temps est dégagé, le ciel très étoilé. J’aime ces moments de solitude, assis sur un monticule, je suis partout et nulle part en même temps, je contemple sans voir, ,j’écoute le silence et le frémissement du vent, un moment privilégié qui est à vous seul ou que vous partagez avec vos amis, c’est flou, c’est confus, c’est beau, c’est magique. Un moment d’évasion, un moment de sérénité, un moment de solitude, la nuit, à la montagne, c’est merveilleux.
Aie, j’ai mal, les crampes me reprennent, je rejoins ma tente, mon sommeil est profond. Je me réveille tôt, aux premiers beuglements des vaches, nombreuses autour de nous. C’est l’aurore, le soleil n’est pas encore levé, le temps est clair, les couleurs du matin sublimes, j’en profite pour immortaliser cette féerie qu’est le lac et ses montagnes. Le camp s’éveille, une nouvelle journée de marche nous attend, que du bonheur....
Partie 3/4
Le camp s’éveille. C’est la deuxième journée de notre périple, du lac vers “Tighzert“ Tikjda, un parcours connu, d’une quinzaine de kilomètres, agréable, accessible à tous, de sept à soixante dix sept ans, en pente douce du lac jusqu’au col de “Tizi n Tsenant“ (1900 m d’altitude), soit un dénivelé de deux cents mètres par rapport au lac (1700 m) puis une descente aussi douce que la montée, jusqu’à “Tghzert“.
Le sommeil est réparateur, la fatigue d’hier ne se voit plus sur nos visages, nos mines sont radieuses, plus de crampes, moins de courbatures. Elle est huit heures, le temps agréable, la fraîcheur de la nuit enveloppe encore le lac, bien que le soleil soit déjà haut. La caravane s’ébranle gaiement.
Mohamed et moi fermons la marche. Sur notre chemin, nous faisons le plein d’eau, il faut s’hydrater en chemin, c’est essentiel. Le groupe est déjà loin, nous sommes vite distancés, lentement, à pas de fourmis, sans efforts, nous cheminons, nous nous retrouvons. De blagues en blagues, de souvenirs en souvenirs, de projet en projet, tout passe, rien ne nous presse qu’importe l’heure d’arrivée. Quatre, cinq, six heures de marche. Que du plaisir, nous apprécions cette balade matinale. Observateurs et curieux que nous sommes, rien ne nous échappent le long du parcours, de la petite fleur, aux lézards qui fuient à notre approche, des vaches qui paissent avec leurs petits nés en montagne, aux magnifiques paysages que nous avons traversé la veille, nos appareils photos immortalisent ces endroits que nous aimons tant. Le groupe nous a devancé de beaucoup, ils sont loin, de temps à autre, au détour d’un virage, nous apercevons au loin, Ouelhaj, Abdella ou Malek, ils ont toujours un œil sur nous, d’un signe de la main pour leur dire que tout est OK ! Ils repartent et disparaissent de nouveau. Lorsque nous atteignons le col, le groupe est là, à nous attendre, ils sont là depuis une heure, une demi heure, à l’ombre d’un rocher, nous nous joignons à eux, partageons quelques friandises.
Reposés et désaltérés, nous entamons la descente sur le même rythme, le groupe est déjà loin. Nous sommes sur les hauteurs d’“At Ergane“, les pâturages “Alma“, sont à nos pieds, une vue plongeante nous permet de découvrir ce plateau dans toute sa splendeur. Entouré de hautes montagnes et traversé par une rivière, asséchée pour la période, cet endroit est peut être l’un des plus beaux sites du Djurdjura, c’est le repère de l’aigle royal et autres rapaces. Le mont Ras “Timedouine“ culmine à 2305 mètres d’altitude. Au loin, à l’extrémité du plateau, nous découvrons “Taburt At Ergane“. Un pays de neige, “At Ergane“, où nous comptons beaucoup d’amis, notamment les Djedid, que nous saluons. Passé ce promontoire, “Tighzert“, et le chalet du C.A.F (chasseurs alpins Français), aujourd’hui auberge de jeunes, nous apparaissent au fond de la vallée, c’est bientôt la fin de cette balade tranquille, nous avons marché près de six heures et parcouru une distance de quinze kilomètres, une allure d’escargot que nous avons voulue, une balade que nous avons appréciée.
Nous nous retrouvons tous au niveau du chalet, l’eau coule à flot, c’est la grande toilette pour tous, nous poursuivons notre chemin, vers le lieu du bivouac, où nous déjeunons. Sieste, dont vous avez vu les photos publiées auparavant. .Changement de programme, à l’unanimité, nous décidons de rejoindre le chalet où l’eau coule du robinet. Nos tentes sont vite installées, le point d’eau est à quelques mètres, le repas en préparation, la soirée nous appartient, la nuit fut longue et belle....
Partie 4/4 Le retour
Nos sacs sont prêts, une marche de six kilomètres nous dégourdit les jambes. Nous sommes à “Tikjda“, au complexe, c’est calme, l’endroit dort encore.
L’affluence quotidienne n’est pas encore au rendez vous, “Tikjda“, une station touristique et climatique, au cœur de la montagne, implantée dans une forêt de cèdres, un rêve, elle invite au repos et à la détente. Une affluence trop nombreuse, avec toute sorte de pollutions et d’incivilités, l’empêche d’être à la hauteur des aspirations attendues d’un tel site, c’est devenu la destination au quotidien de toute une population de la région et d’ailleurs, ses capacités d’accueil sont dépassées. Des bus, des voitures particulières, dans un charivari indescriptible, occupent le moindre espace toute la journée. Derbouka, trompettes, musique à fond, barbecues sauvages, dénaturent l’endroit. Pollution sonore, pollution visuelle, incivilités font que le repos et la détente recherchés n’y sont pas, c’est dommage. Il est conseillé aux personnes qui y séjournent, d’aller randonner en journée et de ne rentrer que le soir pour pouvoir apprécier la quiétude naturelle des lieux.
Je ne terminerai pas ces récits sans évoquer certains animaux que nous avons rencontrés ou entendus. Les singes qui sautent de branches en branches en en piaillant, le pic vert ou pivert tape sur les troncs d’arbres pour déloger des insectes, il faut savoir reconnaître ce bruit, c’est comme des coups de marteau en saccade, le hibou ulule toute la nuit, la chouette lui répond en chuintant, en fin le chacal jappe lugubrement, réveillant en moi les craintes de mon enfance.
Le fourgon qui doit nous récupérer est là, au revoir belle montagne. C’est avec tous ces sons et toutes ces images, plein la tête, que je somnole dans le fourgon qui nous ramène à “At Yanni“ où nous y sommes à la mi journée, il fait chaud, c’est la canicule, le thermomètre explose, au-delà des 40° à l’ombre, nous regrettons déjà la fraîcheur de la montagne.