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    La "Caisse de solidarité" des citoyens de Taxavit (Taourirt El hadjadj) était dénommée "La caisse noire" par rapport à sa relation avec les morts mais aussi à cause de sa clandestinité, à une certaine époque les réunions étaient interdites et les cotisations encore plus. Sa création à Paris serait probablement contemporaine de la période de la naissance de l’Etoile Nord Africaine…  
    La Kabylie a été toujours pauvre, la surface de terre cultivable qu’elle dispose était petite, des siècles durant elle a permit à sa population de vivre modestement et péniblement. Les invasions, les maladies, les guerres et les partages, ont obligé les habitants à quitter leur région. L’émigration des hommes a commencé probablement quelques décennies après l’invasion Français de la Kabylie pour s’accentuer à partir de la fin de la première guerre mondiale, au début des années 1920. 
   On imagine qu’il n’a pas été facile pour nos aïeux, à peine lettrés, mariés avec enfants, pour la plupart, de s’aventurer dans un pays étranger, comme la France. Dans mon village, les candidats au départ étaient programmés par les aînés et contactés par courrier postal. Dès son retour en France, après un court séjour passé avec les siens au bled, l’ouvrier de France, était chargé d’accompagner un ou deux jeunes du village afin de trouver du travail. Une fois en France, le ou les nouveaux venus sont totalement pris en charge par la communauté sur place, pour la recherche du travail ou bien pour l’initiation à la nouvelle vie. La France permettait une promotion sociale par rapport à la vie en Kabylie mais c'était loin d’une vie parfaite, ils habitaient dans des chambres minuscules d’hôtels miteux et travaillaient durement pour des salaires de misère. La cohésion sociale était assurée la solidarité entre les personnes du même village. C'était nécessaire car cette vie difficile était accentuée par la pénible séparation, que chacun vivait avec les siens  au pays. 
   La sacralité de la terre Kabylie était rarement évoquée, elle se ressentait simplement, elle était naturelle… Les voyageurs prenaient dans la poche ou dans leur valise, une pincée de terre enveloppée dans un tissu, même à leur insu. Combien de fois j’ai surpris ma mère mettre quelque chose dans la valise en carton, entre les habits de mon père. Les yeux humides elle me répondait tendrement : c’est la terre de “Sidi lhadj Slimane“ pour qu’il revienne en bonne santé …Tout Kabyle, à mon avis, pour ne pas dire toute personne souhaite être enterré là ou il est né. C’est peut être naturel, écrit dans nos gènes, si on se réfère au saumon…
    J’ouvre une parenthèse ici pour témoigner d’un fait historique, qui me parait important, sur lequel on a trop palabré et polémiqué, peu m’importe que l'on me croit ou pas, je dois absolument dire même si je n’ai aucune preuve en ma possession : Mohammed Arkoun disait dans une longue lettre :   "Je souhaite et j’espère que mon enterrement se passera à Awsaf…" Awsaf est un petit lopin de terre plate en contrebas de Taourirt Mimoun, acheté par le père de Mohammed avec son premier salaire, c’est un lieu où il aimait retrouver ses amis d’enfance...) 
    Quand une personne décède, c’est un drame en soi, ne pas permettre aux proches de voir son visage et de l’enterrer dans sa terre natale avec ses ancêtres, est encore plus grave, car cette situation dépend des hommes. La chose la plus terrible qui pourrait arriver à un vrai Kabyle est d’être enterré en terre étrangère, en dehors de sa terre natale. D’où la nécessité de créer une caisse informelle réservée aux rapatriements des défunts… Cette caisse fonctionne efficacement depuis presque un siècle, elle est basée sur des principes très simples, ceux qui régissent l’organisation ancestrale qui ont fait preuve durant deux millénaires au moins, l’honnêteté, la confiance, compassion, solidarités…
     La continuité de cette organisation ancestrale est assurée selon les mêmes principes avec l’adhésion d’une nouvelle génération cultivée et instruite. C’est un exemple d’un savoir faire extraordinaire qui a traversé tout les temps et les interdits de la colonisation et nous est arrivée intacte maintenant. C’est aussi la preuve que les organisations ancestrales étaient bien plus efficaces que celles apportées sous forme administrative : préfectures, sous préfectures, Mairies, gardes champêtres, gendarmerie, commissariats, (pompiers)… 
                                                    

    La caisse du village a continué de fonctionner, en bravant les interdictions de l’autorité Française, jusqu’en 1954. Au déclenchement de la guerre en Algérie, le FLN (fédération de France), se structure et prend un certain nombre de mesures, dont le principe et de ne pas « enrichir la France» par tout les moyens possibles. D’où les interdictions : les prises d’alcools et tabacs, d’aller au cinéma, de voyager le moins possible, etc.. Malgré cette interdiction, la caisse a continué d’exister pendant encore un certain temps, avec l’insistance de la moitié des gens du village. Puis elle s’arrête durant la guerre pour reprendre à l’indépendance.

    Le 17 février 2019, à Boulogne-Billancourt en France, une assemblée générale extraordinaire s’est tenue à la suite d’un appel fait sur les réseaux sociaux. La mise à jour des cotisations, l’accueil de nouveaux arrivants sont les thèmes de l’ordre du jour, avec une réflexion sur l’adaptation et l’adoption des technologies nouvelles pour une gestion transparente meilleure et la pérennité de la caisse.

    Il faut noter que cette assemblée est particulière, depuis sa création elle était toujours composée exclusivement d’hommes. Pour la première fois, une dame assiste, au grand bonheur de toute l’assistance. Dahbia Teggour, puis que c’est d’elle qu’il s’agit, est de la lignée des héros et des précurseurs de la région. Son aïeul, Saïd At Kaci ou Ali, est mort en héros, volontaire (Imsebel), en 1871 à Larbaa Nath Irathen ; Les filles Teggour , étaient les premières du village à aller à l’école, à conduire une voiture, etc. La démocratie, la solidarité, le respect des autres etc. sont nés chez nous et font partie de notre culture. Les femmes Kabyles aujourd’hui, occupent des fonctions et des postes importants de par le monde...

                                                                                Med Tabèche fév 2019

Avis publié sur les réseaux sociaux 

"Les responsables de la caisse de solidarité de Taourirt_El_Hadjadj invitent les citoyennes et les citoyens établis en France pour une réunion à Boulogne_Billancourt le 17 février 2019 à l'endroit habituel à 14 heures. 
Ce sera l'occasion de faire les mises à jour des cotisations et d'assurer notre solidarité.

En toute fraternité, les responsables de la caisse."

 

 

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Avis publié sur les réseaux sociaux en 2017 

 Les citoyennes et les citoyens du village de Taourirt El Hadjadj se sont réunis ce dimanche 30 avril 2017 à Boulogne Billancourt. Les responsables ont procédé aux cotisations régulières conformément à l'ordre du jour. Les citoyens présents ont bien sûr renouveler la tradition de nos anciens par fraternité et parce qu'en ces temps difficiles certains d'entre nous peuvent être touchés par les difficultés de la vie. Cette solidarité est aussi un acte de résistance, nous y sommes fidèles et le seront plus que jamais. Aussi nous appelons celles et ceux inscrits dans la caisse à se présenter impérativement le dimanche 21 mai à 14 heures au lieu habituel pour régulariser leur situation. A cette date une liste des cotisants sera envoyée au comité de village de Taourirt El Hadjadj chargé de l'organisation des funérailles des citoyens décédés. Fraternellement.

 Les responsables de la Caisse

Tag(s) : #Mon village, #Taxavit, #Arkoun, #Histoire
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