Akouren = Yakouren, est le lieu de notre première randonnée de l’année 2019. Une trentaine de personnes de tous âges, de divers, horizons se regroupent à Azazga, le 04 janvier, à huit heures du matin pour commencer le périple à travers la forêt. Deux personnes de la région, retraités des forêts, guident la procession, qui démarre du lieu dit, ancien souk el fellah.
La ballade commence par la visite rapide de l’extérieur d'un établissement célèbre appelé « chalets des sœurs blanches », des baraquements encore fonctionnels, situés dans un lieu pittoresque, à la lisière de la forêt ; aujourd’hui, il est reconverti en école régionale des beaux-arts d’Azazga.
Yakouren, est un nom Kabyle, qui désigne la forêt, le village et la commune, qui regroupe pas moins de quinze mille habitants, répartis dans plus de vingt villages et hameaux :
Azrou, Ahmil, At Aissi , At Aouna, At Vouhini, At Hemza, At Ghorvi, Vegouv, Voumensor, Chvel , Lhadjadj, Ivelaïdène, Iguer Atmane, Izza,Oulmoutene, Tahgant, Tahnacht, Tamliht, Tighilt V Bouksas , Tinsawin,Tiwidiwin , Tizi Teghidet, Tougana, Yakouren , Daïra d’Azazga, vilaya de Tizi-ouzou .
Que veut dire le vocable “Akouren“ ou "Yakouren" ? Il est utile de savoir d’où vient ce toponyme, une partie de l’histoire, est contenue ou cachée dans les noms vernaculaires des lieux. On ne dira jamais assez, l’importance de la toponymie. La forêt de Yakouren, comme beaucoup d’autres endroits, sont des lieux de mémoire, il faut la respecter aussi bien les lieux que la mémoire.
“Akour“ signifie petite bosse ou obstacle, “Akouren“ en est le pluriel ; ce qui nous parait pas correspondre à grand-chose connue. Après avoir, superficiellement, cherché et scruté , dans la morphologie des lieux et autres, afin de trouver ce qui pourrait être un indice ou un signe qui auraient suscités cette appellation, on a conclu avec cette probabilité, qui reste, bien entendu une supposition : “Akour“ est la déformation de “Aqour“, le rossignol en Kabyle, au pluriel “Aqouren“ puis “Yakouren“ par déformation avec le temps, ce qui semble plausible, puisque la forêt abrite beaucoup de rossignols. On se rappelle que ce bel petit oiseau emblématique, qui chante même la nuit, a déjà donné son nom à un village de l’autre versons du Djurdjura : “Iwaqouren“.
L’autre appellation ancienne, d’appartenance à une région, est encore usitée : At Ghevri ; “L'Arch At Ghevri“, territorialement plus vaste que le découpage administratif actuel ; la forêt y est également rattachée : “Lghava At Ghevri“ ou “Tizgi At Ghevri“.
La forêt de Yakouren, a une superficie de 5. 721, 86 hectares, elle est bordée par des villages, de hameaux et la ville d’Azazga au Sud. Le chêne liège, le chêne zéen et le chêne afarès, sont les principaux arbres, qui poussent et vivent à une altitude, qui varie entre 400 et 1250 mètres, avec des centaines d’autres espèces végétales, comme la bruyère, l’arbousier, le lentisque etc. Les diverses espèces animales, toutes en voie de disparition, comme le singe magot, principale attraction ; le sanglier, le chacal, le porc-épic, le lièvre, paient un lourd tribut de la promiscuité humaine. Les oiseaux ne sont pas en reste, le corbeau, la chouette, le hibou, le chardonneret, le moineau, la mésange, le rossignol, le coucou, etc., se font de plus en plus rares … Avant l’arrivée de l’homme, c’était un territoire exclusivement habité par les animaux, dits sauvages ils ont subit et subissent encore nos méfaits…
La forêt, constituant plus de 47 % de la superficie totale du territoire de la commune de Yakouren, est un joyau dont on a su exploiter et tirer profit jadis, des produits de grande qualité. Le bouchon de liège, la fabrication du vin, c'est-à-dire la viticulture en Algérie encore plus loin qu’on le croit, jusqu’à l'Antiquité, les colonisateurs ont apporté des connaissances et des procédés supplémentaires à ceux existants déjà. À l'époque de la colonisation française, la production annuelle de vin, atteint 18 millions d'hectolitres. L’Algérie produisait des vins de grande qualité, qui avait besoin du liège également du pays. Or, peu de gens le savent, le vin et le liège sont deux produits qui se complètent depuis longtemps, il se trouve justement, que l’Algérie en produits les meilleurs. C’est d’ailleurs le cas de presque tous les produits naturels du pays. Le territoire est géographiquement bien situé, là où il est, il recevoir les quantités d’eau et de soleil, pour que tout soit à point. Est-ce une bénédiction d’avoir toutes ces richesses, en tenant compte aussi de cet emplacement providentiel qui le prédispose aux diverses invasions coloniales ?
Les utilités du liège étaient nombreuses, on prenant l’exemple seulement du bouchon, qui parait un objet léger insignifiant, pourrait être un argument de poids pour préserver nos forêts. Le liège de Yakouren est très prisé par le monde pour le “bouchonnage“, c'est-à-dire la fermeture efficace des bouteilles de vin, (ne cherchez pas dans le dictionnaire le mot entres parenthèses, je le réutilise, car il plait, tout comme “infoucable“=interminable…). Dans le monde pas moins de 40 milliards de bouteilles de vins sont utilisées chaque année, sachant qu’un bouchon coûte 25 centimes d’euros…
On peut rajouter un mot sur la bruyère, matière par excellence pour fabriquer de bonnes pipes et sculptures. Une quinzaine d’opérations techniques sont nécessaires pour fabriquer une pipe pour faire d’un cube de bois, une pipe., . La France a continué l’exploitation des richesses de sa colonie, la forêt de Yakouren n’était pas en reste, son bois entre autres : Le chêne, la bruyère a également exporté cette matière vers les usines de la capitale de la pipe, Saint-Claude (Jura France) et ses environs comptent alors jusqu’à 6000 artisans pipiers soit la moitié de la population totale en 1925. Un petit mot sur la bruyère, éminemment utile dans la forêt pour ses capacités de conserver l’humidité de l’évapotranspiration. J’ai fumé la pipe pendant une trentaine d’années, si ce n'était la nocivité pour la santé, fumer la pipe est agréable. Aujourd’hui encore, on peut observer à d’El Kala Annaba, les reliques de fabriques Françaises de l’occupation, qui ont continuées de fonctionner à la fin de la guerre. Fabrication d'ébauches de pipes de bruyère des Frères Giordano et taille de bouchons et de traitement du liège, de la famille Miranda.
A partir de 1856 environ, l’activité s’industrialise, notamment avec l’importation de la racine de bruyère du midi. Les usines spécifiquement dédiées à la pipe n’apparaissent que fin XIXe. Mais rachetées par leurs clients et détrônées par l’avènement de la cigarette, les usines ferment peu à peu. En 1958, il n’y a plus que 1000 artisans pipiers. Le déclin s’accélère. Campagnes anti tabac, concurrence accrue, Saint-Claude ne compte plus aujourd’hui qu’une demi douzaine de fabricants. Mais sa renommée et son savoir-faire la distinguent toujours Capitale mondiale de la pipe. L’auguste confrérie des maitres-pipiers et le musée de la pipe et du diamant honorent d’ailleurs ce titre.
La forêt de Yakouren est aussi et surtout un lieu de mémoire, elle a abrité les combattants de la liberté, comme Arezki El Bachir , natif d’ At Vuhini . Ou encore les Abdoun, Mohammed, El Vachir, Mohamed ou el hadj, dans la région de Tamgout, depuis 1888, qu’on surnomme vulgairement “bandits ou Bandits d’honneur“. Des hommes instruits, cultivés et courageux, qui ont refusés l’humiliation, l’injustice ; de se rabaisser devant la puissance coloniale :
“ Au temps des bureaux arabes, les impôts étaient prélevés d'une façon toute spéciale : quelques cavaliers, commandés par un sous officier, s'en allaient à travers champs, au hasard de la fourchette, chapardant tout, vivres, grains, troupeaux, objets de prix, chevaux et femmes. On appelait ça une razzia. Parfois, pour l'amusement, on passait au fil des l'épée quelques vieux « bicots, » des marabouts, des cheiks, les vénérés de la tribu. Puis, on amenait leurs femmes, leurs filles, leurs sœurs, que l'on' violait dans les coins."
Hector France nous a édifiés sur ces faits, avec son livre « Homme qui tue... » (Le banditisme en Kabylie de Emile Violard (1893))
Je suis toujours profondément attristé, quand à plus fortes raisons des kabyles, qualifient tous ces combattants de la liberté de “bandits“ ou de “bandits d’honneurs“… On en reparlera.
Pour ceux qui ont su apprécier, l’allégresse semée tout au long du circuit, même la fine pluie glacée de l’après midi est acceptée. Le timide hiver, n’a pas réussi à faire partir Monsieur l’automne, qui lui, semble occupé avec sa palette de couleurs amoureuses. Il a peint les fougères et les feuilles des arbres, pour le plaisir de nos yeux. Des chants d’oiseaux mélodieux pour nos oreilles ; une eau tanisée par l’écorce des arbres et les racines ; enrichi d’éléments nutritifs du sol et du sous sol en amont, ont conférés un nom révélateur à cette source « Talla Laz », nous a rassasié, complétons ainsi les plaisirs de nos sens ; merci Yakouren.