Toudjine Messaoud, décède le 25 juillet 2021, à “Aseqif n tmana“ = Abri de protection = (Hôpital Aïn El Hammam). Une vie bien remplie, où un siècle durant, chaque moment était assumé pleinement et apprécié à sa juste mesure, avec ses lots de plaisirs et de joies, mais aussi de déboires et d’amertumes, disait-il de son vivant. Il aimait partager ses souvenirs avec les oreilles attentives et compatissantes et moi, féru et curieux de la vie tumultueuse, des vécus incroyables des ainés.
Toudjine Messaoud, est né, le 20 mai 1920, au village Taourirt El Hadjadj, commune de Fort National, département d’Alger.
En Kabyle : Msawd At M’hemed, illul di Tadart Txavit, di Larch n At Yanni, di Tmurt Leqvayel.
Dda Lhadj Messaoud, est le titre et nom par lequel, il est interpellé, nommé et désigné. Dans toute sa simplicité et sa modestie, il lui importait peu des titres et surnoms, que certains aiment à lui attribuer. Moi, je le nomme : Dda M’sawd, sa forte personnalité, sa carrure imposante, inspirent le respect et de la considération.
En septembre 2010, il a accepté de me raconter les étapes importantes de sa vie devant ma petite caméra.
Le petit Messaoud a fait ses classes, depuis 1926, à l’école primaire du village Taourirt El Hadjadj. À cette époque, dès qu'on arrive à lire et écrire, c'est le niveau limite que les parents concèdent à leurs enfants. En considérant les contextes de l’époque, on comprend aisément, que c’est une précieuse main-d’œuvre qui est soustraite par l’école française, (considérée dépravante), aux taches quotidiennes. Les principales activités de ces temps-là sont : les travaux pénibles des champs ingrats à flanc de coteaux, l’agriculture, l’élevage d’animaux ; d’autres travaux accessoires, comme la laine, la poterie… Le temps pour s’amuser n’existe pratiquement pas, les jeunes triment aussi souvent et plus durement encore que les adultes, de l’aube au crépuscule, tous les jours, toutes les semaines, des mois et des années. De ces maigres ressources, l’administration coloniale, soustrait les impôts et taxes obligatoires.
À l'âge de 13 ans, il quitte sa famille et son village, pour "Lamoricière" dans la région de Tlemcen, chez une fratrie du village, qui tient des commerces là-bas. Il est employé comme "Avoudjad ou Agarsoun".
À cette époque, ce “métier“ destiné aux jeunes “travailleurs“ âgés entre 10 à 15 ans, est toléré, même recherché. Le titre de "Garçon" est assimilé à un stagiaire, la famille pauvre, loue les services de leur fils pour une personne ou un groupe de personnes, avec qui, il y a affinité. Le "Garçon" est logé, nourri, blanchi et payé ; en contrepartie, il effectue toutes les basses besognes et les tâches habituellement réservées aux femmes (souvent absentes, restées aux villages), la cuisine, le ménage, la lessive ainsi que les courses, la manutention et tous les autres travaux, que le patron "Amalem" demande. Bien que Messaoud soit fort, dynamique, volontaire, il ne pouvait pas résister à la multitude et rudesses des tâches. Le but est d’apprendre le métier de commerçant, mais en réalité, c'est de l’exploitation, il démissionne.
En pleine adolescence, il revient au village, au milieu des années 30, cette fois, il apprécie mieux, la chaleur du foyer familial, les travaux champêtres, qu'il réfutait avant. Maintenant, ils lui paraissent plus légers, mieux justifiés en se sentant un peu plus mûrit…
Il a travaillé pendant un certain temps à Alger, maison blanche, il habitait Bab-el-Oued, il faisait tous les jour le trajet à pied.
Messaoud reçoit l’ordre d’appel, le 22 juillet 1943, pour être sous les drapeaux, il va de (Beni-Yenni à Draa-el-Mizane à pied, ordre d’appel). Avec ses compagnons, ils iront guerroyer en Europe se battre contre l’Allemagne nazie, donner leur sang et leur vie pour libérer la France, meurtrie et humiliée. Il disait que malgré tout, il était content de partir. À 23 ans déjà, il n’avait pas peur de mourir, la misère et l’ennuyeuse monotonie poussent notre jeunesse fougueuse, débordante de santé et d’énergie, d’aller loin, vivre des aventures, même dangereuses. Il était enchanté d’enfiler la tenue d’une élégance jamais connue, fût-elle militaire. Le pantalon avec lequel il l’avait troquée, comptait quatorze pièces de diverses formes et couleurs. L’argent reçu permettrait à son père d’acheter une paire de bœufs et des extras.
Au front, il nous est arrivé de nous battre corps à corps, l’horreur était à son comble, on n’avait pas le temps d’y penser, la gnôle nous aidait aussi, même à supporter le froid.
À sa libération en mai 1945, avec ses compagnons, ils reviennent au pays puis il retourne en France comme travailleurs émigrés. Il y reste prêt de 17 ans en France, a travaillé chez Renault et Air liquide…
Dda Msaoud a toujours travaillé, un travail sempiternel ; son sens aigu de l'économie, telle une fourmi, il travaillait sans arrêt, à la sueur de son front. Toudjine Messaoud, n'a jamais été bourgeois, sa plus grande richesse, est surtout sa générosité, son intégrité, sa probité, hors du commun, il les avait gardés intactes, dans son cœur. Comme les personnes de sa génération, il considère ces valeurs importantes, faisant partie des qualités intrinsèques et essentielles de l'homme "Argaz" en kabyle. Peut-on les comprendre maintenant ?
“Ma richesse, c’est mon cœur et ma foi ; mon argent, je l’ai gagné centime par centime, avec ma sueur et mon sang… Ma famille était modeste comme toutes les familles du village, on n’a pas hérité de fortune, seulement des petits champs ingrats et de minuscules maisons au village et essentiellement, d’une bonne éducation “ disait-il.
Il y a une dizaine d'années de ça, à "taburt n tchihhou", il nous racontait cette histoire devant beaucoup de témoins.
``En 1936 ou 1937, je devais avoir 16 à 17 ans, nous racontait-il, il y a une dizaine d’années, devant chez lui, au village, au lieu dit, "taburt n tchihhou". J'allais à Souk El Djema pour faire une course, qui ne nécessitait pas d'aller tôt le matin. Au niveau de "Akermoud", sur le chemin du retour, Dda Messaoud At Vrahem (Titous), qui venait de vendre un bien de valeur et précieux. Dans le village, il y avait une grande cohésion, les habitants étaient tous unis, comme une grande famille. Vous pensez bien, chaque événement qui s'y passait tout le monde était concerné et au courant. Il y avait en permanence des yeux bienveillants des uns sur les autres, du coup, même quand la chèvre de Nna Ldjouher met bas, tout le village le sait, mais aussi tous les villageois sont concernés. Dda Messaoud a donc vendu sa belle paire de bœufs, sa femme "Taxalet" et ses filles l'attendent, impatientes pour voir cette fortune qui leur permettra de réaliser leurs projets. Au moment où ils se sont croisés, le vieux Messaoud ne savait pas qu'il a laissé tomber toute sa bourse. Dix minutes après, le jeune Messaoud retrouva le paquet, après qu'il a constaté, qu'il contenait de l'argent, de suite, il a su à qui il appartient. À son retour au village, il va frapper à la porte d'At Vrahem,
-Wa Dda Msawd !
Dda Messaoud reconnait tout de suite le son de la voix du jeune Messaoud At M'hemed. Il vient devant la porte et l'invite à prendre un café à la maison.
- Aslamaq a Messaoud, qechmed a mi a teswed el Kahoua, aq dehkou tawaguit id yi yedran! = Bonjour Messaoud, entre mon fils prendre un café, je te raconterai la catastrophe qui m'est arrivée, mes filles et “Takalet“ sont là et pleurent avec moi…
- Laisse-moi te rassurer très vite, voila ton argent, je l’ai retrouvé !``