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Quand la nature nous joue des tours !


     Comme une traînée de poudre, l’information s’est répondue immédiatement dans le village d’Ait yighil puis dans tout Laarch  Ait Aabdelmoumene, (prés des Ouadhias) et bien plus loin après, par voie de presse: "une chèvre a mis bas un agneau!" N’est-ce pas justifiée cette expression sentence "taϒat-ik ad tarew izimer" (ta chèvre mettra bas un agneau), avec laquelle on sermonne toute personne qui a tendance  à enfreindre les règles sociales ? Cela est arrivé à une vieille femme  s’appelant  Sadia*.
   

Nna Sadia, une veuve de plus de soixante ans, assistée de sa bru, surveille sa chèvre au point de mettre bas dans le coin haut de l’immense cour sous le toit en tuiles de la grande chambre qu’elle habite. Une belle bête robuste de robe crème qu’elle a achetée récemment à un prix très raisonnable chez un maquignon occasionnel, son voisin. Les signes de l’arrivée imminente du nouveau-né ne trompent pas, Car en fait, ce n’est point la première fois qu’elle vit un tel événement. Beaucoup d’agneaux et de chevreaux sont nés autrefois dans sa maison… Cette fois, elle a acheté cette chèvre surtout pour gaver de son lait son bébé de petit-fils. Ainsi, elle est là, assise sur un petit tabouret en bois adossée au mur de sa chambre à droite du seuil  depuis près d’une heure déjà. Notre vieille est patiente et aussi contente que cela se passe le matin  d’une journée au temps clément et ensoleillé en ce début du mois d’avril. Un regard vers la chèvre, un autre vers Ldjouher* sa bru, assise elle aussi sur un autre petit tabouret juste à coté. Celle-ci lui lance de temps à autre quelques banalités pour  rompre le silence. Soudain, une tête commença  à sortir. C’est la délivrance! ? Non, mais alors pas du tout, une fois le nouveau-né au sol, c’est plutôt un cauchemar! Tenant sa tête entre ses mains, elle s’écrit : «a yemma  aƐzizen, d izimer !» (ô chère maman, c’est un agneau!). Affolée, elle se lève comme mue par un ressort et se précipite vers la sortie de la maison tout en nouant d’un geste machinal les coins supérieurs de sa “fouta“ autour de sa taille. Au milieu de la cour, elle se retourne: «attends le deuxième qui va sortir, moi je ne peux plus voir çà ! » lance-t-elle à sa belle-fille, désemparée… Quelques minutes après, la chèvre met bas un  autre, cette fois un chevreau en tout. Le premier-né, défiant à première vue l’ordre naturel  des espèces, tente déjà de se relever. Ldjouher, laissant  la chèvre lécher ses petits, sort immédiatement de la maison pour annoncer à sa belle-mère la 2eme naissance. Elle la trouve  derrière la maison, assise sur une des grosses pierres posées le long du mur  dans une grande prostration encore  sous le choc, l’air hagard, la tête entre ses mains et les coudes sur les genoux se disant surement : Que diront les gens, quel jugement auront-ils ? Car dans le milieu rural tout le monde connait et comprend la portée morale de la sentence « taϒat-ik ad tarew  izimer » (ta chèvre mettra bas un agneau). Un désastre pour l’honorabilité.  Nna Sadia, peut être à un degré moindre sa bru, en  est bien consciente, mais que faire ? Intérieurement elle ne se sent coupable en rien, puisqu’elle a acheté cette chèvre déjà saillie. Donc  elle n’a aucunement interféré dans tout le cycle de ces naissances, mais toujours est-il, l’affront  est là. Elle et ses enfants doivent le gérer. « d iɣid wagi ! » (celui-ci  est un chevreau) lui annonce alors sa bru debout devant elle, lui cachant le soleil et quelque peu la vue sur le Djurdjura. La voix et la présence  de Ldjouher la font sortir de sa torpeur  pour revenir à la réalité. Plus pragmatique  et voulant surtout dédramatiser l’événement, elle lui dit  « yexzi-k  inaƐl-ik a cciṭan, eyyan a yelli ad nennejmeƐ  s  axxam » (que tu sois maudit  Satan, rentrons à la maison ma fille). Tout en se levant et tenant de sa main gauche le bras droit de sa bru, elle ajoute comme pour elle-même  « Dans un mois ou deux on va les  sevrer et mon petit-fils chéri  boira autant qu’il voudra de ce très riche lait de chèvre ! N’est-ce pas pour lui que je l’ai achetée ? ». Elle lâche le bras de sa belle fille pour réajuster son foulard et d un pas nonchalant elles contournent la maison. Arrivées au niveau de la porte qui donne sur la rue, elle ajoute d’une voix haute à l’adresse d’éventuels  passants qui voudrons bien l’entendre : «après tout c’est une créature de Dieux et c’est une âme je vais en prendre soin. Que ceux qui veulent jaser qu’ils jasent »  Il va de soi,  elle a entièrement raison.  Car dans toute situation, inextricable soit-elle, où surtout on ne peut rien changer, il faut savoir (ou tout tenter) revenir à l’essentiel…                                                                                                                                           Ceci  pour le coté événement. Et pour le coté scientifique, est-il vraiment possible qu’une chèvre mette bas un agneau? Personnellement, j’étais à priori sceptique. Comme j’habite le même village, j’ai accompagné un ami, correspondant d’un quotidien national venu pour voir de ses propres yeux le phénomène. J’ai profité pour photographier ces petits animaux-stars (que voici). Ce jour-là, la vieille était de voyage à Bejaia et sa bru ne s’était pas montrée. C’était un de ses fils marié, qui nous avait accueillis.                                                                                                                                             A vu d’œil, si nous n’étions pas avertis, il était  difficile de soupçonner quoi que ce soit : l’un d’eux était bien un agneau. Malgré cela, je ne fus pas convaincu. Je pars alors voir deux spécialistes : des vétérinaires, (ils n exercent plus actuellement). Le premier m’a dit que c’est possible et qu’il a vu un cas pareil. Mais en lui posant la question sur le nombre de chromosomes des deux espèces (il diffère selon mes bribes de connaissances en génétique : 60 pour la chèvre, 54 pour le mouton) il s’est embourbé dans ses explications, ne les connaissant pas ou les ayant complètement oubliés. Le deuxième par contre, m’a réconforté dans mon doute, Lui aussi n’a pas cru. On a été voir (ou revoir pour moi) ces  nouveau-nés. Sur place, il ne tarde pas à faire son constat. Pour lui, l’agneau n’est en fin de compte qu’un chevreau né avec  des poils si fins qu’ils se sont enroulés faisant croire à une toison de laine. Tout le reste en cette petite bête, montre qu’il est plutôt un caprin: la poitrine (le “V“ de la cage thoracique) est très étroite, les pattes finissent par du poil qui couvre leurs sabots, … «Dans quelques temps tu verras, cela va rentrer dans l’ordre » me confie-t-il.                                                                                                      Des explications qui semblent plausibles et rationnelles. Cependant ma question reste encore posée: Est-ce possible qu’une chèvre mette bas un agneau car saillie par un mouton? Théoriquement non. Il ne peut pas être un agneau au sens propre du terme. Il en résultera plutôt un hybride. Donc dans notre cas, ce petit phénomène ne serait au juste, ni tout à fait un agneau ni tout à fait un chevreau et son nombre de chromosomes serait quant à lui, la moyenne de ceux de ses parents (chèvre-mouton : 60-54) : 57 D’autre part on se rendra  compte que notre agneau-chevreau n’est nullement un cas unique et qu’il a même un nom : Un chabin. Beaucoup sont nés de par le monde, bien souvent  fortuitement,  mais la majorité par avortement ou ne survit pas  et des hybrides de tout genre, il en existe beaucoup, fruits de hasard ou par l’intervention humaine. On trouve  certains  en pleine nature comme l’okapi (entre zèbre et girafe), wholphin (entre orque et dauphin), le chien-loup (entre chien et loup), le bardot (du cheval et l’ânesse) par exemple. Sinon de nombreux croisements naissent en captivité où des fois on a même recourt à l’insémination artificielle du fait que les masses des parents différent beaucoup comme le lama femelle et le dromadaire mâle qui donnent un cama…mais l’hybride le plus commun pour nous, c’est bien le mulet ou la mule, la femelle (du croisement entre un âne et une jument) lesquels sont stériles. Du moins c’est ce qui nous a été inculqué dans le milieu rural kabyle au point de comprendre que si un jour la mule mettrait bas, ce serait la fin du monde! D’ailleurs même Ait Manguellet imbu de cette culture, disait dans une de ses anciennes chansons “lammer ad d-iniɣ ayen illan, tasardunt at-tarew mmi-s“ (si je disais ce qui en est, la mule mettrait bas son fils). Depuis, a-t-il dit tout ce qui en est, puisque en Angleterre plus de soixante mules (de même qu’un chabin) ont mis bas ? Absolument pas, étant donné qu’il continue de versifier et  chanter (et  tant mieux pour nous). Du coup, constatant aussi que la vie sur terre ne s’est guère  éteinte malgré ces naissances sans qu’il n y ait aucun autre arche de Noé, doit-on renvoyer nos parents et grands parents sur les bans d’école pour cette prédiction apocalyptique? Que non ! Car cet état de fait n’est pas propre à notre société. Cela existe dans toutes les autres, des fois même en pire comme en Afrique noire où dans plusieurs pays on voit l’albinos (de parents noirs, il nait blanc : du fait de l absence totale ou partielle de pigments) jusqu’à présent comme maléfique. On les sacrifie pour Dieu ou on leur coupe un bras ou la jambe pour un hypothétique enrichissement. C’est le cas en Tanzanie notamment où paradoxalement est née la première civilisation du monde par  son industrie proto lithique crée par l’homo-habilis (ou civilisation Oldowayenne)… Ceci dit, la différence entre ces sociétés au  juste, est que certaines sont restées prisonnières de leurs croyances ou idées reçues, d’autres par contre se sont approprié la science pour les démystifier puis les verser dans le chapitre folklore qu’elles gardent jalousement. En outre, la science nous apprend aussi  qu’en fait  rien n’est  invariablement  figé. Sinon comment expliquer l’évolution de la vie sur terre qui a commencé par un protozoaire unicellulaire (une cellule), il y a de cela 3 milliards d’années dans un fond marin, à cette foisonnante faune aquatique ou terrestre  apparue il y a de cela des centaines de millions d’années  et nous humains de quelques millions d’années avec nos 100 000 milliards de cellules chacun. Depuis beaucoup d’espèces (géantes aux minuscules) sont éteintes suites aux cataclysmes, d’autres du fait qu’elles ne se sont pas adaptées aux changements des conditions de leur vie (leurs fossiles ou traces qu’on retrouve dans des sédiments de fonds marins qui affleurent, sont étudiés par la paléontologie) alors que d’autres ont plus ou moins  évolué… Par ailleurs des scientifiques sont entrain de recréer (si on ose dire), à partir de leur ADN, des animaux qui ont disparu il y a des milliers d’années tel que le mammouth à travers l’éléphant qui lui est le plus proche, c’est bien sûr  après  plusieurs étapes. Le génie génétique a fait des pas de géant  dans tous les domaines notamment dans la santé et l’agriculture. Espérons seulement que l’étique prévaudra pour conclure, n’est-ce pas plus sage et logique de voir en notre pseudo agneau ou chabin  tout simplement  une curiosité qui relève de l’insolite amusant  à inscrire dans le registre des tours de Dame Nature ? Aussi si la sentence (d’en haut) est vexatoire et  péjorative, une autre également du terroir, la corrige « lexliqa uxellaq, tiyita ur tlaq » (créature du créateur, point de médisance).                                        Aomar Sider
NB : Le texte et l’événement sont anciens
       *Les noms sont modifiés

Une chèvre met bas un agneau
Tag(s) : #Sider Aomar, #Divers
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